Entamée très tôt ce matin, l’écoute d’une très ancienne version du « Crépuscule des dieux » de Wagner –cliquer sur l’image pour la voir en plus grand, vraisemblablement la plus ancienne version intégrale ?-, enregistrée à Bayreuth pendant la guerre en 1942, me renvoie vers les mises en scène pleines de cuirasses en fer blanc et autres casques ailés ! Et vers des voix dont l’ampleur de la déclamation semble avoir désormais disparu de nos interprétations plus récentes depuis bien longtemps ! Ça faisait longtemps que je n’avais plus approché cette version, et j’y redécouvre de vrais trésors :
• l’orchestre de Bayreuth, à cette date, est mieux en place que dans l’immédiat après-guerre, lors de la réouverture du « Neues Bayreuth »; en revanche, le choeur est assez rustique;
• le chef, Karl Elmendorff, est excellent, quoi que bien oublié de nos jours ! Très expressif et connaissant visiblement l’oeuvre sur le bout des doigts –un vrai sens de la narration– il gère très bien la tension tout au long de l’oeuvre. Sa « Marche funèbre » est l’une des meilleures que je connaisse –une « lente déploration », comme le voulait Wagner, et qui retrouve tout son sens enregistrée sous la fosse, cf. l’extrait proposé-;
• c’est, à ma connaissance, le seul enregistrement où l’on peut entendre les cors spécialement créés pour cette oeuvre dans l’appel des vassaux, et qui furent détruits à la fin de la guerre; ils émergent complètement de la masse orchestrale coincée sous la fosse de manière totalement adéquate, et la perspective reste impressionnante malgré l’âge de la prise de son !
Quant aux chanteurs, l’impression est globalement favorable -déjà parce que la maîtrise de la langue, la diction et la prosodie sont parfaites, ce qui n’est pas rien dans Wagner…-, malgré quelques pailles ponctuelles :
Martha Fuchs –cf. photo à droite, anti-nazie notoire, on se demande comment elle fut autorisée à se produire en Allemagne durant la guerre-, une excellente Brünhilde d’avant-guerre en Allemagne, est tendre et poétique, mais la grande scène de l’immolation finale la trouve fatiguée et presqu’exsangue, très en difficulté avec ses aigus malgré un investissement indéniable et une réelle volonté de chanter plutôt que de s’époumoner. Néanmoins, une de mes Brünhilde préférées, après Astrid Varnay –mais d’aucuns vous diront que j’ai des goûts bizarres, ou datés, voire contestables !-.
Svet Svanholm est bien meilleur en Siegfried à cette date que dans les productions d’après-guerre assez bien documentées que l’on connaît de lui et il en va de même pour Frederick Dahlberg, globalement excellent dans le rôle du vilain Hagen.
En définitive, un excellent « Crépuscule des Dieux », dont je m’étonne qu’il soit si rarement cité –à ma connaissance au moins– parmi les « versions de référence » ! D’autant qu’eu égard à l’époque, l’enregistrement est étonnamment bon !
Historiquement, en tout cas, il est important pour comprendre l’évolution de l’histoire du chant et de l’interprétation des opéras de Wagner.