Un dimanche à l’opéra. Leoncavallo, Pagliacci

Cette nouvelle séance dominicale est relativement courte : levé dès potron-minet, j’ai passé une bonne partie de la matinée en cuisine avant de pouvoir consacrer un peu de temps à mes oreilles, pendant que mijote un boeuf bourguignon qui embaume tout la maison !
L’opéra du jour, « Pagliacci« , que je n’ai écouté qu’une seule fois auparavant, est pourtant très populaire; il dure un peu plus d’une heure, et s’inscrit dans le mouvement vériste italien, qui, très schématiquement, est à l’opéra ce que le mouvement naturaliste français de Zola est à la littérature française : une représentation de la réalité brute qui met en avant des histoires de la vie quotidienne le plus souvent tragiques, sur fond de passions humaines. –Cliquer sur l’image pour la voir en plus grand-.
L’opéra, créé en 1892, est en deux actes précédés d’un court prologue. L’orchestration est riche, Leoncavallo utilise quelques leitmotivs pour dépeindre les émotions des personnages. Les mélodies sont assez prosaïques à mon goût : je n’ai jamais beaucoup accroché à l’opéra italien ! L’intrigue – selon le principe d’une pièce dans la pièce– se déroule dans un théâtre où se produit une troupe de clowns et tourne autour de l’amour non partagé et de la jalousie dévorante, qui conduira à une drame final : le meurtre de l’amant par le mari jaloux.
Dès sa première, dirigée par le grand chef Arturo Toscanini, l’oeuvre connut un triomphe qui ne s’est jamais démenti depuis. Pagliacci demeure l’un des opéras les plus populaires en Italie. Du fait de sa courte durée, l’oeuvre est très souvent jouée en diptyque avec « Cavalleria Rusticana » de Mascagni, autre très célèbre opéra vériste, relativement court lui aussi.
La version du jour est réputée de longue date, témoignage de la collaboration artistique du chef autrichien avec la Scala de Milan –il contribua largement à élever considérablement le niveau de l’orchestre– du temps où il était directeur de l’opéra de Vienne –1956-1964– : il avait entamé une fructueuse collaboration artistique entre les deux maisons, avec la création de « l’axe Vienne – Milan », qui prit fin avec sa démission de Vienne, en 1964.

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Dimanche à l’opéra – Schönberg, Moses und Aron

Poursuivant sur ma lancée dodécaphonique, c’est à un opéra difficile que je m’attaque aujourd’hui : Moses und AronMoïse et Aaron, pour les plus rétifs à l’Allemand-, d’Arnold Schönberg, dans une version aussi aride et analytique que les albums écoutés il y a peu de temps. C’est normal, elle fait partie de la même série anthologique des oeuvres du compositeur enregistrées par le chef français Pierre Boulez ! –Cliquer sur l’image pour la voir en plus grand-.

Pierre Boulez en enregistra une version plus tardive beaucoup plus lyrique que je n’ai entendue en entier qu’une seule fois, et mes étagères comportent également la très belle version de Michael Gielen, plus expressionniste et somptueuse orchestralement.

Moses und Aron, opéra inachevé en deux actes –le livret du troisième acte ne fut jamais mis en musique par Schönberg-, composé rapidement entre 1930 et 1932, constitue une vaste synthèse de l’art du compositeur, qui y plaça toute son expérience, à une période extrêmement difficile pour lui, qui s’était reconverti au judaïsme : la montée progressive de l’antisémitisme en Allemagne avec, en corollaire, l’émergence du parti nazi.

Le livret, tiré de la Bible, expose l’opposition entre la pensée pure de Moise –qui ne s’exprime qu’en Sprechgesang– et la séduction verbale d’Aron –dont le rôle et l’expression sont de nature plus lyrique-. La partition orchestrale est extrêmement complexe et dense. Moses und Aron, au départ conçu pour être une cantate, ne fut jamais joué du vivant du compositeur, qui voulait achever son opéra. Sa création, onze jours après la mort de Schönberg, eut lieu en 1954 dans une version de concert sans mise en scène, la création officielle de l’opéra remontant quant à elle à 1957. Le troisième acte fut a été achevé par le pianiste Zoltan Kocsis en 2009.
Deux très bons articles, ici et , vous permettront d’en savoir un peu plus sur cette oeuvre exigeante, mais passionnante !

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Dimanche à l’opéra – Orfeo ed Euridice, de Gluck

Je poursuis ma série dominicale et lyrique en abordant cette nouvelle année avec une bizarrerie totalement inédite pour mes oreilles : cet album fait partie de l’énorme coffret présenté ici, qui contient notamment tous les opéras enregistrés par le maestro pour la firme à l’étiquette jaune –je n’ai pas encore fini d’épuiser tous les opéras, notamment italiens…-, dont certains inédits, hors discographie « officielle », en provenance de « son » festival de Salzbourg enregistrés par la radio autrichienne, comme c’est le cas ici, et dont la présence dans le coffret m’avait d’ailleurs échappé. –Cliquer sur l’image pour la voir en plus grand-.

Orfeo ed Euridice est un opéra en trois actes composé par Christoph Willibald Gluck, et tout-à-fait caractéristique de la réforme opératique voulue par ce compositeur, réforme qui a donné naissance au drame lyrique en rénovant l’opéra français et par opposition à l’opéra italien, ce qui engendra la célèbre et très parisienne querelle entre gluckistes et piccinistes. « Je me suis proposé de dépouiller la musique des abus qui, introduits par la vanité mal entendue des chanteurs ou par une complaisance exagérée des maîtres, défigurent depuis longtemps l’opéra italien… Je pensais à restreindre la musique à son véritable office qui est de servir la poésie pour l’expression sans interrompre l’action et sans la refroidir par des ornements superflus ». Ainsi, plutôt que d’exposer la virtuosité des chanteurs au travers de leurs « Arias », Gluck abandonne la séparation entre récitatifs est airs, pour rechercher une continuité musicale intégrant tous les éléments –solistes, choeurs, orchestre– d’une oeuvre au service du drame. Pour tout savoir sur cette réforme, vous pouvez vous rendre ici.

• L’argument est fondé sur le mythe d’Orphée, qui semble remonter aussi loin qu’au 7ème siècle avant JC. Orphée, accablé par la mort de sa jeune épouse Eurydice, chante son infinie tristesse. Sa musique touche Hadès, le dieu des enfers, qui l’autorise à ramener Eurydice dans le monde des vivants. Orphée doit pour cela attendrir les gardiens des portes de l’enfer par sa musique. Sur le chemin du retour, il lui est interdit de se retourner pour regarder son épouse. Mais, presque arrivé, il ne peut s’empêcher de regarder derrière lui et Eurydice meurt à nouveau. A partir d’ici, et contrairement aux récits issus de la mythologie grecque,Gluck et son librettiste choisissent une fin heureuse pour conclure leur opéra : Amour, touché par le malheur d’Orphée, vient redonner vie à Eurydice.


• La version du jour utilise « l’édition de Milan », parue en 1889. L’oeuvre, qui connut un succès considérable, existe en effet en plusieurs versions différentes et a connu plusieurs modifications entre sa création viennoise et les différents séjours du compositeur en Italie, puis en France. Par ailleurs, Berlioz la remania également. Cette édition milanaise tardive, en dehors de toute visée musicologiquement fondée, est sensée synthétiser le meilleur de toutes les éditions, dans une optique résolument « romantique ». Elle ne comporte pas d’ouverture orchestrale.
Gluck n’était pas une clé de son répertoire, mais Karajan a dirigé deux productions de « Orfeo ed Eurydice » dans le cadre du festival de Salzbourg : une première fois en 1948, puis en 1959. Loin des interprétations historiquement informées, le chef donne à entendre un récit hors du temps, fondé sur des tempi lents, des cordes charnues et un orchestre de toute beauté –la prise de son est très convenable, eu égard à son âge, et l’orchestre philharmonique de Vienne est en plein renouveau après des années difficiles suite à la guerre-. Comme je n’ai guère de points de repère, les solistes, dans ce contexte, me semblent tous parfaitement adaptés à la situation et les choeurs sont de toute beauté.

Une belle découverte pour entamer cette nouvelle année lyrique !

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Dimanche à l’opéra – Handel, Israel In Egypt

En ce nouveau dimanche matin à l’opéra, c’est un oratorio, « Israel In Egypt », et non un opéra, que j’écoute. Mais il fut créé à l’opéra, comme presque tous les oratorios de Handel, et plus exactement au King Theatre de Londres, en avril 1739. La version de ce jour est la version en trois parties d’Andrew Parrott et de ses Taverner Choir & Orchestra, enregistrée pour EMI en 1989 et rééditée chez Erato pour d’obscures questions de droits après le rachat d’EMI par Warner. –Cliquer sur l’image pour la voir en plus grand-.
A la différence de ses autres oratorios, «Israel In Egypt» ne fut pas composé en une seule fois et ne trouva pas réellement de forme définitive complètement établie. On le joue actuellement dans sa version en trois parties, et c’est ainsi qu’il fut créé, mais, pendant longtemps, il ne fut interprété que dans une version en deux parties. « Israel In Egypt » retrace l’histoire de l’Exode des Israélites, de leur esclavage en Égypte à leur libération par Moïse et la traversée de la mer Rouge. Cet oratorio est notable pour sa grande puissance dramatique, ses chorals grandioses, et la profondeur émotionnelle qui se dégage de la musique.

Les trois parties de la version de la création de l’oratorio, tel que voulu par Handel se présentent ainsi :
1. Lamentations du peuple d’Israel suite au décès de Joseph – L’oratorio commence par une série de chœurs puissants et solennels qui dépeignent l’oppression du peuple d’Israël en Égypte, alors qu’ils y vivaient auparavant heureux du vivant de Joseph –ce qui est raconté dans une autre oratorio de Handel, « Joseph And His Brethern »-. Les Israélites souffrent sous le joug de l’esclavage et appellent à la libération. Les chants expriment leur désespoir et leur foi, en attendant la délivrance. L’entrée en scène de Moïse est attendue, mais c’est avant tout le peuple qui parle à travers la musique. On retrouve dans les chœurs de cet acte des motifs et des harmonies lourdes, qui amplifient le sentiment de servitude. La musique de cet acte est marquée par des airs poignants et des chœurs puissants qui illustrent l’étendue de leur souffrance : elle est intégralement reprise de la magnifique l’antienne funéraire « The Ways Of Zion Do Mourn » du compositeur –une de ses plus belles oeuvres, assurément, supérieure à mes oreilles à n’importe quel Requiem…--, pour le décès de la reine Caroline , dont les paroles ont été légèrement modifiées.

2. L’exode – Cette deuxième partie se concentre sur les événements dramatiques qui précèdent la libération d’Israël. On y trouve les célèbres plaies d’Égypte, avec la musique reflétant à la fois la colère divine et la souffrance des Égyptiens. Dans cet acte, les trompettes et les percussions viennent souvent souligner l’aspect catastrophique des événements, rendant cette partie particulièrement dynamique et théâtrale. Les airs des personnages, notamment de Moïse et d’Aaron, reflètent à la fois leur engagement spirituel et l’autorité divine dont ils sont les instruments. L’oppression des Égyptiens se fait plus palpable à mesure que la musique devient plus tourmentée. Le sommet de l’acte est sans doute l’invocation des plaies, avec des chœurs puissants qui annoncent les fléaux envoyés par Dieu. La musique devient chaotique, pleine d’une énergie irrésistible qui s’élève en puissance. C’est aussi au sein de cette partie qu’Handel, pour rompre l’enchaînement systématique de choeurs, inséra des parties orchestrales extraites du concerto pour orgue n°13 « Le coucou et le rossignol ».

3. Cantique à la gloire de Moïse – La partie finale traite de la libération des Israélites et de la traversée de la mer Rouge. Cette partie de l’oratorio est marquée par des chœurs lumineux et exaltants, où l’on entend les cris de triomphe du peuple d’Israël après la destruction de l’armée égyptienne. La mer Rouge, qui se referme sur les soldats pharaoniques, est une scène grandiose dans laquelle la musique de Handel déploie toute sa force dramatique. La traversée de la mer, à la fois miraculeuse et symbolique, est accompagnée par une musique qui varie entre l’émerveillement et la tension. Le chœur final est un moment de grande exaltation, où les Israélites célèbrent la victoire et la liberté retrouvée. La grandeur du salut est célébrée avec des chœurs monumentaux, soulignant l’aspect de délivrance divine. Cette partie fut en réalité en premier, et devait, à l’origine, constituer une antienne indépendante. Sur la proposition du révérend Jensenn, librettiste de nombreux oratorios de Handel, le compositeur avalisa proposition d’étoffer ce cantique en l’intégrant à un oratorio.

Pendant longtemps, l’oeuvre fut exécutée dans sa version en deux parties -les numéros 2 et 3-, le roi George II ayant interdit que l’antienne funéraire soit intégrée en tant que première partie à l’oratorio.

L’œuvre est avant tout un tour de force choral, un aspect typique des oratorios de Handel. Les chœurs sont riches en complexité et en profondeur, souvent éclatants de puissance et de clarté. Handel utilise des contrastes saisissants entre les passages contemplatifs et les moments plus agités ou dramatiques, renforçant l’aspect narratif et visuel de l’histoire.
Les solistes, dont les interventions sont plus rares que dans ses autres oratorios, sont souvent des instruments de narration : Moïse et Aaron, ainsi que plusieurs autres personnages bibliques, sont représentés par des airs où l’on trouve des lignes vocales expressives, parfois méditatives, parfois grandioses.
L’orchestration de « Israel In Egypt » est tout-à-fait caractéristique du style de Handel : elle inclut des instruments à cordes, des bois, des cuivres, ainsi que des percussions. Les trompettes sont particulièrement présentes dans les moments de triomphe, tandis que les cordes et les bois apportent une couleur différente dans les sections plus méditatives. Le traitement des chœurs est d’une grande richesse, notamment dans les passages où les voix sont superposées, créant des textures complexes et des moments d’une grande intensité. « Israel In Egypt » est une œuvre qui illustre la puissance de la musique pour traduire l’extraordinaire et l’émotion humaine. À travers son mélange de théâtralité, de spiritualité et de virtuosité musicale, Handel parvient à rendre l’histoire de l’Exode vivante et vibrante. Les chœurs et les solistes, accompagnés d’une orchestration raffinée font de cet oratorio un chef-d’œuvre de la musique baroque.

Dimanche à l’opéra – Bartok, Le château de Barbe-Bleue

J’écoute ce matin la toute première version qui a honoré ma discothèque de l’unique opéra de Béla Bartók, « Le château de Barbe-Bleue : lorsque je l’avais achetée, après avoir entendu l’oeuvre à l’opéra national du Rhin, cette version était alors la seule dans les rayons de mon disquaire. –Cliquer sur l’image pour la voir en plus grand-. Elle m’a toujours donné toute satisfaction, même si ce n’est pas ma préférée.
Le Château de Barbe-Bleue (en hongrois A Kékszakállú herceg vára) est un opéra en un acte de Béla Bartók, composé en 1911 et créé en 1918. Le livret, écrit par Béla Balázs, est basé sur la légende de Barbe-Bleue. L’opéra se concentre sur une interaction intime entre seulement deux personnages : Barbe-Bleue et sa nouvelle épouse, Judith. L’histoire explore des thèmes psychologiques profonds, notamment la solitude, la quête de vérité et les mystères de l’âme humaine.

L’opéra est fondé sur un conte de Charles Perrault, écrit en 1697, qui aborde le thème de la déloyauté conjugale : l’épouse supposée soumise à son mari s’avérant irrespectueuse des règles établies, elle encourt la mort pour avoir désobéi. –Les ligues féministes « Me Too » y verront sans doute un symbole du patriarcat, alors que le conte parle des tentations auxquelles l’être humain succombe et de leurs conséquences possibles-. Ainsi, L’œuvre commence par un prologue où un narrateur s’adresse au public, l’invitant à découvrir une histoire qui se déroule dans l’âme humaine. Le narrateur pose la question de savoir si ce que nous voyons dans le château de Barbe-Bleue est réel ou s’il s’agit d’une représentation des profondeurs de la psyché. –Ce prologue parlé est absent de la version écoutée ce jour-.

Le livret de l’opéra « Le Château de Barbe-Bleue » est une œuvre dense qui s’articule, en un acte unique et sept scènes, autour de la relation psychologique entre deux personnages : Barbe-Bleue et Judith. Il se compose de sept scènes correspondant aux sept portes mystérieuses du château que Judith veut ouvrir.
• Ouverture, prologue parlé – Un narrateur introduit l’histoire, interrogeant l’audience : « Où est le château ? Est-il dans ce monde ou en dehors ? ». Il plante le décor mystérieux du drame qui va se jouer.
• Scène 1 – L’entrée dans le château
Judith et Barbe-Bleue viennent d’entrer dans le château, une forteresse sombre et froide. Judith, récemment mariée à Barbe-Bleue, exprime son amour mais est intriguée et inquiète par l’atmosphère lugubre. Barbe-Bleue tente de la rassurer, mais Judith sent le poids d’un secret. Barbe-Bleue l’avertit : ce château renferme ses mystères, et il serait peut-être dangereux de les dévoiler. Mais Judith, curieuse et résolue, demande l’ouverture des portes.
• Scène 2 – La première porte : La salle de torture
Judith insiste pour ouvrir la première porte, malgré les réticences de Barbe-Bleue. Derrière, elle découvre une salle de torture, sombre et effrayante, avec des instruments marqués par le sang. La vue la trouble, mais elle persiste dans son désir de voir plus loin. Barbe-Bleue tente d’atténuer son inquiétude, affirmant que ces instruments appartiennent au passé, mais Judith commence à sentir le poids du secret.
• Scène 3 – La deuxième porte : La salle d’armes
À la deuxième porte, Judith découvre une salle remplie d’armes. Les lames sont ternies par le sang séché, et une ambiance lourde règne dans la pièce. Pourtant, elle ne se laisse pas détourner de sa quête. Elle veut tout savoir, tout découvrir.
• Scène 4 – La troisième porte : Le trésor
La troisième porte révèle une immense pièce pleine de richesses : des bijoux, de l’or, des pierres précieuses. Cependant, Judith remarque que tout ce trésor semble recouvert d’une étrange ombre, comme si une présence pesait sur lui. Barbe-Bleue reste évasif, essayant de rassurer Judith sans pour autant lui dire toute la vérité.
• Scène 5 – La quatrième porte : Le jardin
Judith ouvre la quatrième porte et découvre un jardin merveilleux, d’une beauté irréelle. Mais même ici, elle remarque des tâches de sang, comme si ce jardin paradisiaque était contaminé par un passé sombre. Barbe-Bleue, de plus en plus troublé, demande à Judith d’arrêter son exploration.
• Scène 6 – La cinquième porte : Le royaume
La cinquième porte s’ouvre sur une vue majestueuse : un vaste royaume s’étend sous les yeux de Judith, avec des montagnes, des rivières et des villes. C’est une scène de pouvoir et de contrôle. Mais même ici, Judith perçoit une ombre. Barbe-Bleue répond que le passé ne doit pas être révélé, mais Judith est désormais trop investie dans sa quête.

• Scène 7 – La sixième porte : Le lac de larmes
La sixième porte s’ouvre sur un lac silencieux et sombre. Judith comprend que ce lac est fait des larmes versées par ceux qui ont partagé la vie de Barbe-Bleue avant elle. Elle commence à sentir le poids de la tragédie et de la solitude qui entourent Barbe-Bleue. Barbe-Bleue, le cœur lourd, demande à Judith de renoncer, mais elle ne peut plus faire demi-tour.
• Scène 8 – La septième porte : Les épouses de Barbe-Bleue
Enfin, Judith exige l’ouverture de la dernière porte. Derrière elle, se tiennent les anciennes épouses de Barbe-Bleue, toutes vivantes mais enfermées dans une obscurité éternelle. Elles sont belles, majestueuses, mais prisonnières à jamais du château. Judith, horrifiée, réalise son sort. Elle est condamnée à devenir, elle aussi, une ombre dans le passé de Barbe-Bleue. La porte se referme sur elle, et Barbe-Bleue reste seul, à nouveau entouré de ses secrets et de ses mystères.
• Final – Le narrateur clôt l’histoire en rappelant que le château de Barbe-Bleue est un lieu intemporel, où se rejouent sans fin les drames de la curiosité et du mystère.

Pour en savoir sur cet opéra, je vous renvoie, une fois n’est pas coutume, à la très intéressante notice à lire ici.

Dimanche à l’opéra – Kurt Weill, L’opéra de quat’sous

Une fois n’est pas coutume, ma playlist dominicale est constituée d’une visite à l’opéra, pour une oeuvre attachante, mêlant théâtre de rue et « chansonnette lyrique » : c’est ainsi que, pour ma part, je définirai « L’opéra de quat’sous », de Kurt Weill, sur des textes de Berthold Brecht adapté et modernisé façon « critique moderne du capitalisme » d’une oeuvre de John Gay « « A Beggar’s Opera » mise en musique par Johann Cristoph Pepusch, que je n’ai encore jamais entendue, et qui connut un grand succès à sa création en 1728.
Une fois encore, la notice Wikipedia consacrée à « L’opéra de quat’sous », que vous pourrez lire ici est complète et de qualité, m’évitant d’en dire beaucoup plus !

La version du jour –un de mes premiers CD d’opéra-, enregistrée dans d’excellentes conditions techniques pour l’époque –1958-, est communément considérée comme une version « de référence », très tôt rééditée en CD et dotée d’un remarquable livret en Français dans cette première édition. –Cliquer sur l’image pour la voir en plus grand-.
Outre qu’elle met bien en valeur la dimension « théâtre de rue », elle est historique dans la mesure où elle donne à entendre la femme de Kurt Weill, Lotte Lenya, dans le rôle de Jenny –cf. image ci-dessous-, l’ex-amante éconduite et jalouse qui trahit Mackie Messer. Elle avait créé le rôle en 1928 et l’avait également interprété au ciné dans le film Georg Bapst, tourné aussi tôt qu’en 1931, l’oeuvre ayant connu un immense succès en Allemagne avant son interdiction par les nazis : Kurt Weill fit en effet partie des artistes mis à l’index en tant « qu’artiste dégénéré ».

Parmi les autres versions sur les étagères de ma discothèque, je recommanderais également la version archi-complète de H.K « Nali » Gruber, qui donne notamment à entendre une Nina Hagen totalement déjantée dans le rôle de Frau Peachum et joue à fond la carte du théâtre de rue. Dans une veine plus lyrique que j’apprécie moins, la version de John Mauceri avec Une Lemper et René Kollo connut un très grand succès critique à sa sortie en 1990, mais il faudrait que je me la remette en mémoire.

J’ai toujours beaucoup apprécié l’oeuvre de Kurt Weill et de Berthold Brecht –les deux sont inséparables, aussi bien pour «L’opéra de quat’sous» que, plus tard, pour «Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny» ou «Les sept pêchés capitaux»-, qui mêle musique, théâtre et critique sociale avec une ironie acerbe. Leur collaboration constitue un exemple remarquable de la manière dont l’art peut servir de miroir critique aux structures sociales et politiques, tout en offrant un divertissement musical très appréciable à mes oreilles.

Dimanche matin à l’opéra – Wozzeck, d’Alban Berg

La séance de ce « dimanche matin » à l’opéra est consacrée à l’un de mes opéras favori : Wozzeck, d’Alban Berg, dans l’excellente version de Claudio Abbado –un chef que je n’apprécie pas particulièrement en général, et donc peu présent dans ma discothèque– enregistrée lors d’une représentation à l’opéra de Vienne en 1987. –Cliquer sur l’image pour la voir en plus grand-.

Contrairement aux précédentes, cette notule dominicale sera relativement brève : la notice Wikipedia consacrée à cet opéra est d’une grande qualité et relativement exhaustive, vous pouvez la lire ici. Vous pourrez également compléter votre lecture par l’article –assez bref ceux-ci– consacrés à Georg Büchner, inspirateur du livret et à la pièce de théâtre « Woyzeck ».

Etonnamment, malgré sa disparition très précoce à 23 ans, Büchner eut une influence considérable et fut à l’origine de deux autres opéras : l’un consacré à Woyzeck composé par Manfred Gurlitt exactement au même moment que celui de Berg, et l’autre tiré de « La mort de Danton », de Gottfried von Einem, créé en 1947. Le film « Danton » d’Andrej Wajda, avec Gérard Depardieu, s’en inspire également : même s’il est l’adaptation d’une pièce polonaise de Stanislawa Przybyszewska –fervente robespierriste-, le parti-pris très favorable à Danton dans le film est issu de la pièce de Büchner.

Si vous avez un peu moins de deux heures à dépenser dans les temps à venir, je vous recommande de vous rendre virtuellement à Vienne pour découvrir cette version en direct de l’opéra de Vienne, en suivant les liens indiqués ci-dessous :

Acte 1     Acte 2     Acte 3

Wozzeck bénéficie par ailleurs d’une discographie de grande qualité, puisqu’outre l’excellente version de ce jour, je dispose également des versions listées ci-dessous dans ma discothèque, qui présente toutes remarquables et complémentaires. L’opéra de Manfred Gurlitt est d’une moindre puissance émotionnelle et n’est guère passé à la postérité, mais il mérité d’être connu.

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Une semaine à l’opéra – Wagner, Der Ring des Nibelungen – Karajan

Au rythme d’un opéra par jour, ma fin de semaine s’est avérée fructueuse, puisque, depuis jeudi, j’ai pu écouter l’intégralité de « L’anneau du Nibelungen » de Richard Wagner, dans la version d’Herbert Von Karajan, enregistrée préalablement aux représentations qu’il donna, chaque année à Pâques entre 1967 et 1970, lors de « son » festival de Salzbourg. C’est le tout premier coffret d’opéra de Wagner que je m’étais offert, il y a plus de quarante ans : un volumineux pavé de 19 LP accompagnés d’un livret monolingue en Allemand, acheté en Allemagne pour moins de la moitié du prix auquel il était alors vendu en France –où cette édition allemande et vraisemblablement réservée au marché d’Outre-Rhin n’est d’ailleurs jamais sortie, cf. imagette de droite-.
Aujourd’hui, l’ensemble des quatre opéras tient sur un unique Bluray « Pure Audio » très soigneusement remastérisé en haute définition : le son est tout-à-fait remarquable. –Cliquer sur l’image pour la voir en plus grand-.

La saga du Festival de Pâques de Salzbourg, totalement dépendant de la volonté de Karajan, qui en fut l’initiateur, le financeur et le directeur artistique-chef d’orchestre-metteur en scène-éclairagiste-décorateur-concepteur des costumes et s’occupait de tout, sauf de vendre les billets, est racontée ici. Le chef y dirigea chaque année un opéra, depuis la date de sa création, fin 1966 –Karajan voulait avoir les mains totalement libres et échapper aux contingences et contraintes des maisons d’opéra après son mandat de directeur artistique à l’opéra de Vienne de 1957 à 1964– jusqu’à sa mort en 1989. Le festival ne percevant aucune subvention et le chef ne touchant aucun cachet pour ses prestations, seule la billetterie et la vente des disques servait à son financement. Dans cette perspective, et afin d’équilibrer le budget, Karajan conçut l’idée d’enregistrer les opéras présentés chaque année avant qu’ils ne soient représentés sur scène, les séances d’enregistrement servant de répétition et les enregistrements pouvant ensuite servir de supports à la mise en scène et aux éclairages.
Ainsi, à son décès, il avait notamment enregistré et présenté à Salzbourg tous les opéras de Wagner à l’exception de Tannhaüser. A l’occasion de la création du festival de Pâques, le premier opéra représenté fut la Walkyrie, suivi ensuite des trois autres opéras du cycle de « L’anneau du Nibelungen ». Les séances d’enregistrement, à la Jesus-Christus-Kirche, à l’excellente acoustique, furent réalisées selon le planning suivant.
• La walkyrie : décembre 1966
• L’or du Rhin : décembre 1967
• Siegfried : décembre 1968 –
• Le crépuscule des dieux : octobre 1969

Argument –résumé très succinct de ce cycle qui s’étend sur près de quinze heures...-.
« Das Rheingold ». « L’or du Rhin » – Le Rhin, rivière sacrée, abrite un trésor : l’or du Rhin. Trois ondines (Woglinde, Wellgunde, Flosshilde) veillent sur cet or magique. Alberich, un nain Nibelung, essaie de séduire les ondines sans succès –cliquer sur l’imagette pour la voir en plus grand-.. Il découvre que quiconque forge un anneau avec cet or acquiert un pouvoir immense. Désespéré par leur rejet, Alberich vole l’or et renonce à l’amour pour forger l’anneau.
Wotan, roi des dieux, a commandé à deux géants, Fafner et Fasolt, de construire un château, Valhalla. En échange, Wotan a promis la déesse Freia, qui garde les pommes d’immortalité. Les géants réclament Freia une fois leur tâche accomplie.
Wotan et Loge (dieu du feu) partent récupérer l’anneau d’Alberich pour racheter Freia. Dans les entrailles de la terre, Alberich règne en tyran sur les Nibelungs grâce à l’anneau. Il a aussi un casque magique, le Tarnhelm, qui permet de changer d’apparence. Wotan et Loge le capturent en jouant sur sa vanité. Alberich est forcé de céder l’anneau mais maudit celui qui le possédera.
De retour, Wotan offre l’anneau aux géants pour sauver Freia. Les géants se disputent le trésor ; Fafner tue Fasolt et s’enfuit avec l’anneau et l’or. Les dieux entrent triomphalement à Valhalla, mais l’ombre de la malédiction plane.

« Die Walküre » – Siegmund, fils de Wotan, conçu avec une mortelle, erre à travers la forêt. Il trouve refuge chez Hunding, sans savoir qu’il est l’ennemi de sa famille. Sieglinde, la femme de Hunding, reconnaît en Siegmund son frère perdu. Ils s’aiment et fuient ensemble, provoquant la colère de Hunding.
Wotan –cliquer sur l’imagette pour la voir en plus grand-, qui a engendré Siegmund pour récupérer l’anneau, souhaite l’aider. Cependant, Fricka, déesse du mariage et épouse de Wotan, exige la mort de Siegmund pour protéger l’institution du mariage. Wotan, déchiré, cède à Fricka et retire son soutien à Siegmund. Brünnhilde, la Walkyrie favorite de Wotan, reçoit l’ordre d’abandonner Siegmund au combat. Touchée par l’amour de Siegmund et Sieglinde, elle désobéit et tente de protéger Siegmund. Wotan intervient lui-même et brise l’épée de Siegmund, Nothung, causant sa mort.
Brünnhilde prend Sieglinde, désormais enceinte, et s’enfuit avec elle. En punition pour sa désobéissance, Wotan condamne Brünnhilde à dormir sur un rocher, entourée d’un cercle de feu. Seul un héros sans peur pourra la réveiller.

« Siegfried » – Sieglinde, avant de mourir, a donné naissance à Siegfried. Mime, frère d’Alberich, élève Siegfried pour qu’il tue Fafner et récupère l’anneau. Siegfried, ignorant ses origines, est fort et intrépide. Mime tente de forger une épée pour Siegfried, mais échoue à chaque fois. Siegfried, frustré, forge lui-même Notung, l’épée brisée de son père –cliquer sur l’imagette pour la voir en plus grand-.
Il part à l’aventure et tue Fafner, devenu un dragon gardant l’anneau. En goûtant accidentellement le sang du dragon, Siegfried comprend le langage des oiseaux. Un oiseau lui révèle que Mime complote contre lui. Siegfried tue Mime et prend l’anneau ainsi que le Tarnhelm.
L’oiseau le conduit ensuite vers Brünnhilde, toujours endormie sur son rocher. Wotan tente de l’arrêter, mais Siegfried brise sa lance, symbolisant la fin de son pouvoir. Siegfried traverse le feu et réveille Brünnhilde. Ils s’aiment et échangent des vœux.

« Götterdämmerung », « Le crépuscule des dieux » – , Les Nornes (déesses du destin) tissent la corde du destin, mais celle-ci se brise, annonçant la fin des dieux. Siegfried et Brünnhilde vivent heureux jusqu’à ce que Siegfried parte à l’aventure. Il rencontre Gunther, roi des Gibichungen, et sa sœur Gutrune. Hagen, demi-frère de Gunther et fils d’Alberich, complote pour récupérer l’anneau.Gutrune donne à Siegfried une potion qui lui fait oublier Brünnhilde et tomber amoureux d’elle.Sous l’influence de la potion, Siegfried aide Gunther à conquérir Brünnhilde en prenant son apparence grâce au Tarnhelm.
Brünnhilde, trahie, jure vengeance contre Siegfried. Manipulée par Hagen, elle révèle à ce dernier le seul point vulnérable de Siegfried. Lors d’une chasse, Hagen tue Siegfried avec une lance –cliquer sur l’imagette pour la voir en plus grand-.
Son corps est ramené chez les Gibichungen, et Brünnhilde découvre la vérité. Elle ordonne de dresser un bûcher funéraire pour Siegfried. Elle monte elle-même sur le bûcher avec l’anneau et se jette dans les flammes. Le Rhin monte pour reprendre l’anneau, et Hagen se noie en tentant de l’obtenir. Le Valhalla est détruit par les flammes, marquant la fin des dieux et la rédemption de l’humanité.

Le livret – Sources littéraires
« Siegfried » et « Le crépuscule des dieux » sont directement inspirés par « La Niflunga Saga », poème épique en norrois du 13ème siècle et par « La chanson du Nibelungen » qui développe peu ou prou la même intrigue, écrite en haut-allemand et datant du 12ème ou du 13ème siècle: l’action se situe dans le royaume burgonde de Worms –les Gibichungen de Wagner– vers le 5ème siècle, à l’époque d’Attila, qui  joue un rôle secondaire dans le poème.
« L’or du Rhin » et « La Walkyrie » sont adaptés de sources éparses : les Eddas relatives aux mythologies nordiques, la Völsunga saga qui retrace l’histoire de Siegmund et Sieglinde et le –roman en prose datant du 13ème siècle-, et, enfin, le « Strassburger Heldenbuch » –1480-, dit aussi « Heldenbuch-Prosa », qui offre une représentation globale de l’ensemble de l’âge héroïque royaume burgonde, en partie sous la forme d’un récit, en partie sous la forme d’un catalogue de noms –Alberich est directement tiré de ce dernier ouvrage-.
Wagner souhaitait d’abord écrire un opéra contant la légende de Siegfried, les livrets des deux derniers opéras ont donc été rédigés en premier, puis complétés et réarrangés après l’écriture des livrets de « L’or du Rhin » et de « La Walkyrie ». Leur écriture a nécessité 5 ans, puis le compositeur s’est attaché à la mise en musique dans l’ordre de présentation des opéras, à partir de 1853 et jusqu’à écriture de la note finale, en 1874, presque 20 ans plus tard…

La version de la semaine
Même s’il ne s’agit pas de ma version favorite de ce prodigieux cycle parmi la vingtaine répertoriées au sein de ma discothèque –c’est la version en live à Bayreuth de Clemens Krauss, en 1953-, c’est cependant la version studio que je préfère. Elle est d’une grande cohérence, l’orchestre y tient un rôle narratif tout-à-fait novateur et joue remarquablement bien –c’est, à mes oreilles, la meilleure proposition orchestrale pour l’ensemble du cycle-. La direction de Karajan est caractérisée par un équilibre entre puissance et délicatesse. Contrairement à d’autres approches qui mettent davantage l’accent sur l’aspect monumental et héroïque de la musique de Wagner, Karajan opte pour une interprétation plus introspective et lyrique. Cela permet aux nuances des personnages et des relations d’émerger avec une clarté émotionnelle rare.
Les tempos, d’une remarquable fluidité, sont souvent plus lents que chez d’autres chefs, mais cela permet de donner à la musique une respiration, un espace où les motifs peuvent se développer avec une richesse harmonique exceptionnelle. Les chanteurs, jeunes et à l’aube de leur carrière pour une grande partie, sont tous convaincants dans l’optique voulue par le chef –transparence et clarté de la diction, attention portée au texte, expressivité– même si certains sont d’un format moins conséquent que les habituels tenants des principaux rôles à cette époque.
Il existe des bandes « pirates » enregistrées lors de représentations de chacun de ces quatre opéras –parus notamment chez Hunt dans un coffret de 12 CD désormais introuvable-, avec une distribution quasi-identique à celle des enregistrements de studio, qui montrent, dans un son convenable –il faut faire abstraction parfois d’un souffleur intempestif…-, que la conception générale de ce cycle n’est pas une pure « création de studio ». –Cliquer sur l’image pour la voir en plus grand-.

Sous la direction de Karajan, l’ouverture du « Rheingold », avec ses célèbres accords continus, est marquée par une fluidité et une transparence qui mettent en lumière l’élément aquatique. Karajan excelle à créer une atmosphère où l’or du Rhin semble briller et scintiller à travers l’orchestre, symbolisant à la fois la beauté et la corruption que cet or apporte. Son approche est plus subtile et moins martiale que celle de Solti, créant un sentiment d’irréalité et de rêve. Les cuivres ont une présence majestueuse mais pas écrasante. La dynamique entre Wotan et Alberich est traitée avec une tension croissante, mais Karajan met en lumière l’humanité derrière leurs actes, plutôt que de se concentrer uniquement sur leur symbolisme mythologique.

Dans « Die Walküre », Karajan adopte une approche particulièrement lyrique, mettant l’accent sur les relations humaines, notamment dans l’acte I avec l’amour entre Siegmund et Sieglinde. Contrairement à certains chefs qui privilégient l’aspect héroïque de cette musique, Karajan adopte un tempo plus lent et contemplatif, faisant ressortir l’aspect intime et tragique de l’œuvre. L’acte II, avec la confrontation entre Wotan et Brünnhilde est un sommet de tension dramatique. Karajan fait ressortir la lutte intérieure de Wotan, tiraillé entre ses devoirs divins et ses émotions paternelles. L’orchestre, sous sa baguette, est subtil mais puissant, chaque nuance étant parfaitement contrôlée pour servir le drame. L’acte III, avec la célèbre « Chevauchée des Walkyries », est moins tonitruant sous Karajan que sous d’autres chefs. Plutôt que d’insister sur la puissance brute, il opte pour une approche plus raffinée, mettant en avant la précision des motifs orchestraux.

« Siegfried » est souvent considéré comme l’opéra le naturaliste et lumineux du cycle. En amoureux de la nature, Karajan le traite avec une subtilité rare. L’introduction orchestrale à l’acte I, qui décrit le travail de Mime dans sa forge, est interprétée avec une clarté et une précision admirables. Siegfried est à la fois naïf et héroïque, mais Karajan ne pousse jamais trop loin l’aspect triomphaliste du personnage. Il privilégie la complexité de Siegfried, qui évolue tout au long de l’opéra de l’insouciance à une plus grande maturité. Le duo entre Siegfried et Brünnhilde à la fin de l’acte III est magnifiquement exécuté sous Karajan, avec une montée progressive de l’émotion. Plutôt que de se précipiter vers le climax, le chef permet à la musique de respirer, de sorte que la libération finale de Brünnhilde semble à la fois inévitable et profondément émotive.

Enfin, dans « Götterdämmerung », Karajan aborde la conclusion épique du cycle avec une grande noblesse. Le prélude est marqué par une tension contenue, Karajan maîtrisant chaque aspect de la montée orchestrale qui annonce la tragédie à venir.
Le personnage de Brünnhilde est central dans cette vision. Karajan met en lumière sa transformation, passant d’une héroïne guerrière à une figure féminine tragique et rédemptrice. Le climax final, avec l’auto-immolation de Brünnhilde et la destruction de Valhalla, est dirigé avec une grandeur implacable. Les motifs musicaux, notamment celui de la rédemption par l’amour, sont magnifiquement tissés ensemble. Karajan, tout en conservant la puissance dramatique, souligne aussi l’aspect cyclique et inexorable du destin dans cette œuvre.

Evidemment, avec ce Blu-ray « Pure Audio », on échappe à toutes les scories d’un enregistrement live et les conditions techniques sont excellentes.
Le nouveau remastering est tout-à-fait exceptionnel et magnifie des prises de son très soignées dès leur origine –il fallait concurrencer la version spectaculaire de Georg Solti enregistrée chez Decca-. Il rend par ailleurs mieux justice au « Crépuscule des dieux » en rééquilibrant la balance orchestrale : les cuivres sont désormais mieux intégrés et moins projetés en avant, alors que, notamment dans le premier report en CD, ils avaient tendance à tonitruer au détriment du reste de l’orchestre.

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Dimanche matin à l’opéra – The Who, Tommy

Je vous invite à une séance dominicale et matinale à l’opéra, en vous proposant aujourd’hui une oeuvre très atypique du répertoire lyrique –dont elle ne fait pas du tout partie, il s’agit bien évidemment d’un abus de langage…-.
Tommy est un « concept album » du groupe britannique The Who, sorti en 1969 et présenté comme un opéra-rock par son créateur Pete Townshend. –Cliquer sur l’image pour la voir en plus grand-. Il raconte l’histoire fictive de Tommy Walker, un garçon sourd, muet et aveugle, qui traverse des épreuves psychologiques et spirituelles pour devenir une figure messianique.

Le récit de Tommy, né pendant la guerre en l’absence de son père, débute avec le retour de son père, le capitaine Walker, porté disparu pendant la guerre. Lorsque le capitaine revient, il découvre que la mère de Tommy a refait sa vie avec un autre homme. Le garçon assiste à une violente confrontation entre les deux hommes. Selon les versions, le père tue l’amant ou l’amant tue le père, ce n’est pas le plus important –sic– et cela n’a pas d’autre impact sur le déroulé du récit. Il faut simplement en retenir que Tommy subit un choc traumatique qui le rend sourd, muet et aveugle.
Dès lors, sa mère et son père –ou son amant, donc, selon celui qui est resté vivant…– désespérés, tentent diverses méthodes pour le guérir : l’enfant est donc confié toute une galerie de personnages plus ou moins charlatanesques qui lui font subir les pires traitements. Il va sans dire que toutes ces méthodes plus ou moins loufoques et/ou maltraitantes échouent.
Cependant, malgré son handicap, Tommy développe un don extraordinaire pour le flipper, dont il ressent les moindres vibrations, devenant une légende dans ce domaine. Au fil du temps, sa mère et son père –ou son amant, donc, selon celui qui est resté vivant…– rencontrent un médecin qui leur assure que Tommy peut être guéri s’il parvient à regarder en lui-même. Un jour, sa mère, dans un accès de frustration, brise un miroir dans lequel Tommy se voyait –sans se voir, forcément– régulièrement, ce qui entraîne sa guérison miraculeuse.
Après sa guérison, Tommy devient une figure de culte. Il attire des foules de fidèles fascinés par son histoire et son message de transcendance à travers la souffrance. Cependant, en cherchant à imposer sa vision du monde à ses disciples, Tommy finit par se mettre à dos ceux qui le suivaient et retombe dans la solitude.
Au final donc, un « livret » faible et une histoire totalement invraisemblable et complètement décousue, pleine d’incohérences également, portée par les concepts mystico-ésotériques de Meher Baba, dont Pete Townshend était alors un disciple. L’album a aussi marqué un tournant pour Pete Townshend, ex-enfant maltraité, qui a exploré des thèmes spirituels et philosophiques liés à la quête de soi et à la recherche de sens.

Musicalement, Tommy est une oeuvre beaucoup plus intéressante, qui allie des influences variées, notamment le rock, le blues, et des éléments tirés du monde lyrique. La guitare de Pete Townshend alterne les passages puissants en power chords et des moments plus subtils en arpèges, la basse virtuose de John Entwistle forme, comme toujours, le ciment des chansons et la voix de Roger Daltrey, qui doit incarner de multiples personnages, est puissante et expressive. Keith Moon, le batteur est plus sobre et discipliné qu’à son habitude, même si son incapacité à tenir un rythme régulier –c’est lui qui l’affirmait en interview– l’oblige toujours à remplir ses figures rythmiques, quitte à les briser parfois.

Tommy a également été adapté –cliquer sur les imagettes pour les voir en plus grand– :
en version « classique » avec l’orchestre symphonique de Londres, que je n’ai entendu que de rares fois et dont je n’ai pas gardé un souvenir impérissable ; il en existe un enregistrement qui ne semblent plus accessible aisément en ce moment ;
en film en 1975 par Ken Russell, avec une distribution incluant Roger Daltrey, Elton John –la meilleure prestation de ce chanteur de variété, à voir et écouter ici-Tina Turner –excellente en droguée perverse déjantée-, et Jack Nicholson, contribuant encore à sa popularité.
Le film a beaucoup vieilli, mais sa bande originale est de qualité et apporte parfois un surcroît de densité à la musique.
enfin, de nombreux bootlegs des concerts qui suivirent la parution de l’album existent, dans des conditions techniques de qualité très variable. La version la plus satisfaisante est celle proposée en bonus de la version « Deluxe » de l’excellent « Live At Leeds ».

Lors de sa sortie, Tommy reçut généralement des critiques élogieuses pour son ambition et son originalité, même si les avis furent parfois réservés, déjà, sur la trame et les incohérences de son « livret ». L’album a contribué à positionner The Who comme un groupe majeur de l’histoire de la Rock-Music et a enfin permis au groupe d’acquérir l’autonomie financière qui leur manquait jusqu’alors.
Avec Tommy, The Who a ouvert la voie à d’autres groupes pour explorer des formats narratifs dans la musique rock. L’album a marqué l’émergence de ce qu’on appelle l’opéra rock et a posé les bases pour des œuvres comme The Wall de Pink Floyd et des albums de David Bowie –Ziggy Stardust ; Aladdin Sane– ou Genesis –The lamb Lies Down On Broadway-.

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Dimanche à l’opéra – Debussy, Pelléas et Mélisande

Le retour de la rentrée et de ses incontournables marronniers marque également l’ouverture de la saison à l’opéra. A l’Opéra National du Rhin, traditionnellement, la première oeuvre proposée est un opéra contemporain présenté dans le cadre du festival Musica. J’y suis allé à quelques occasions, les productions sont généralement de qualité mais les oeuvres elles-mêmes sont très inégales.
Pour mon retour à l’opéra, en ce dimanche tout-à-fait estival, j’ai donc déposé sur ma platine une oeuvre que j’écoute rarement, « Pelléas et Mélisande« , de Claude Debussy, dans la version d’Herbert Von Karajan, qu’il enregistra pour EMI en 1978. –Cliquer sur l’image pour la voir en plus grand-.

• Argument.
L’opéra se passe à une date indéterminée, au royaume d’Allemonde, et l’on ne sait rien du passé des protagonistes de de leur futur, si ce n’est la mort pour les deux rôles-titres. L’oeuvre est divisée en cinq actes, d’une durée totale de trois heures environ. Pelléas est le plus jeune fils du roi d’Allemande, Golaud est son demi-frère plus âgé et Mélisande une jeune femme mystérieuse sans autre forme de détail.
Acte I : Golaud rencontre Mélisande dans une forêt. Elle devient son épouse malgré son mystère. Leur relation est marquée par l’inquiétude et l’incompréhension.
Acte II : Pelléas et Mélisande se rapprochent. Leurs rencontres innocentes cachent une passion naissante.
Acte III : Leur amour devient plus explicite. La scène du puits où Mélisande laisse tomber son anneau est un moment clé, symbolisant la perte de contrôle et l’inévitabilité du destin.
Acte IV : La tension atteint son apogée. Golaud découvre la relation entre Pelléas et Mélisande. La scène finale de cet acte voit Golaud tuer Pelléas dans un accès de jalousie.
Acte V : Mélisande, blessée et mourante, accouche d’une fille. Golaud, rongé par la culpabilité, tente de comprendre ses sentiments et la vérité sur la relation de Mélisande avec Pelléas, mais il est trop tard.

Le livret est tiré d’une pièce de Maurice Maeterlinck -dramaturge belge symboliste– publiée en 1892, qui s’inscrit dans la même ambiance mystérieuse et onirique que l’opéra de Debussy et expose ce triangle amoureux entre Golaud, Pelléas et Mélisande –amour impossible et jalousie, destin, fatalité et incommunicabilité-, à travers des dialogues minimalistes.
Créé en 1902 à l’Opéra-Comique de Paris, l’opéra de Debussy marque une rupture significative avec les conventions de l’opéra romantique, inaugurant une nouvelle ère de musique impressionniste. L’œuvre est célèbre pour son atmosphère mystérieuse, ses harmonies innovantes, et son exploration des thèmes de l’amour, de la fatalité, et de l’incommunicabilité. Debussy, fasciné par l’esthétique symboliste et désireux de s’éloigner des formes opératiques traditionnelles -et notamment Richard Wagner-, décide d’adapter la pièce en un opéra. Son approche musicale cherche à capturer l’essence de l’œuvre de Maeterlinck, avec une musique qui se mêle intimement au texte, créant une atmosphère ambiguë et suggestive.

Innovations et symbolisme
Debussy rompt avec les conventions de l’opéra traditionnel, préférant une structure fluide qui se rapproche davantage du drame musical. Contrairement aux opéras classiques, « Pelléas et Mélisande » n’a pas de séparation nette entre récitatifs et airs. Les dialogues sont chantés de manière continue, avec une prosodie naturelle qui suit les inflexions de la langue française. Cela contribue à la fluidité du drame, où la musique et le texte se fondent en une seule unité expressive. La partition est construite sur des harmonies non résolues et une orchestration subtile qui met l’accent sur les couleurs et les textures sonores plutôt que sur des mélodies linéaires et des cadences traditionnelles. L’harmonie non habituelle et les accords non résolus, qui contribuent à l’atmosphère flottante et insaisissable de l’opéra. L’orchestration de Debussy est raffinée, utilisant souvent des instruments de manière inédite pour créer des effets de timbre et de couleur. Par exemple, les cordes jouent fréquemment en sourdine, et les bois sont utilisés pour créer des sonorités éthérées.
« Pelléas et Mélisande » est un opéra où le symbolisme règne en maître. Chaque élément, qu’il s’agisse des personnages, des objets ou des lieux, est chargé de significations multiples. L’eau est omniprésente dans l’opéra, symbolisant à la fois la vie, la pureté, le mystère, et la mort. Mélisande est associée à l’eau dès le début, lorsqu’elle est découverte près d’une fontaine, et la mer joue un rôle important dans le destin des personnages.
Le contraste entre la lumière et l’obscurité est un autre motif récurrent, symbolisant la dualité de la vérité et du mensonge, de l’amour et de la haine, de la vie et de la mort. La cécité du roi Arkel est un symbole de l’incapacité à voir ou comprendre la vérité.
L’un des symboles les plus marquants est celui des longs cheveux de Mélisande, qui sont à la fois un objet de désir et un instrument de tragédie. Lors de la scène emblématique où Mélisande laisse ses cheveux pendre par la fenêtre, ceux-ci deviennent une métaphore de l’enchevêtrement des destins des personnages.

À sa création, « Pelléas et Mélisande » divise le public et la critique. L’opéra, lors de sa représentation générale,  est victime d’un « chahut » organisé par Maeterlink lui-même, qui souhaitait que sa maîtresse, Georgette Leblanc, la soeur de Maurice, interprète le rôle de Mélisande, finalement attribué à Mary Garden –cliquer sur l’image de droite pour la voir en plus grand-. Certains sont déconcertés par l’absence de grandes arias et la nature insaisissable de l’œuvre, tandis que d’autres louent l’innovation et la beauté de la musique. Avec le temps, « Pelléas et Mélisande » est devenu une œuvre emblématique du répertoire lyrique, saluée pour son avant-gardisme et sa profonde expressivité.
Il s’agit d’une œuvre d’art totale où la musique, le texte, et la mise en scène se fondent en une seule entité poétique. Opéra préféré d’Herbert Von Karajan, le chef en offre une version plus onirique que la plupart de ses congénères, pendant de son « Parsifal » presque contemporain. L’orchestre y tient une place principale, dans une prise de son légèrement réverbérée qui ajoute à l’ambiance éthérée dispensée par des cordes somptueuses. Les chanteurs sont au moins adéquats à défaut d’être tous géniaux, et chantent dans un Français acceptable et compréhensible. C’est une très belle version, qui fut largement saluée par la critique à sa parution et reste une version princeps de l’oeuvre.

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