Une semaine à l’opéra – Wagner, Der Ring des Nibelungen – Karajan

Au rythme d’un opéra par jour, ma fin de semaine s’est avérée fructueuse, puisque, depuis jeudi, j’ai pu écouter l’intégralité de « L’anneau du Nibelungen » de Richard Wagner, dans la version d’Herbert Von Karajan, enregistrée préalablement aux représentations qu’il donna, chaque année à Pâques entre 1967 et 1970, lors de « son » festival de Salzbourg. C’est le tout premier coffret d’opéra de Wagner que je m’étais offert, il y a plus de quarante ans : un volumineux pavé de 19 LP accompagnés d’un livret monolingue en Allemand, acheté en Allemagne pour moins de la moitié du prix auquel il était alors vendu en France –où cette édition allemande et vraisemblablement réservée au marché d’Outre-Rhin n’est d’ailleurs jamais sortie, cf. imagette de droite-.
Aujourd’hui, l’ensemble des quatre opéras tient sur un unique Bluray « Pure Audio » très soigneusement remastérisé en haute définition : le son est tout-à-fait remarquable. –Cliquer sur l’image pour la voir en plus grand-.

La saga du Festival de Pâques de Salzbourg, totalement dépendant de la volonté de Karajan, qui en fut l’initiateur, le financeur et le directeur artistique-chef d’orchestre-metteur en scène-éclairagiste-décorateur-concepteur des costumes et s’occupait de tout, sauf de vendre les billets, est racontée ici. Le chef y dirigea chaque année un opéra, depuis la date de sa création, fin 1966 –Karajan voulait avoir les mains totalement libres et échapper aux contingences et contraintes des maisons d’opéra après son mandat de directeur artistique à l’opéra de Vienne de 1957 à 1964– jusqu’à sa mort en 1989. Le festival ne percevant aucune subvention et le chef ne touchant aucun cachet pour ses prestations, seule la billetterie et la vente des disques servait à son financement. Dans cette perspective, et afin d’équilibrer le budget, Karajan conçut l’idée d’enregistrer les opéras présentés chaque année avant qu’ils ne soient représentés sur scène, les séances d’enregistrement servant de répétition et les enregistrements pouvant ensuite servir de supports à la mise en scène et aux éclairages.
Ainsi, à son décès, il avait notamment enregistré et présenté à Salzbourg tous les opéras de Wagner à l’exception de Tannhaüser. A l’occasion de la création du festival de Pâques, le premier opéra représenté fut la Walkyrie, suivi ensuite des trois autres opéras du cycle de « L’anneau du Nibelungen ». Les séances d’enregistrement, à la Jesus-Christus-Kirche, à l’excellente acoustique, furent réalisées selon le planning suivant.
• La walkyrie : décembre 1966
• L’or du Rhin : décembre 1967
• Siegfried : décembre 1968 –
• Le crépuscule des dieux : octobre 1969

Argument –résumé très succinct de ce cycle qui s’étend sur près de quinze heures...-.
« Das Rheingold ». « L’or du Rhin » – Le Rhin, rivière sacrée, abrite un trésor : l’or du Rhin. Trois ondines (Woglinde, Wellgunde, Flosshilde) veillent sur cet or magique. Alberich, un nain Nibelung, essaie de séduire les ondines sans succès –cliquer sur l’imagette pour la voir en plus grand-.. Il découvre que quiconque forge un anneau avec cet or acquiert un pouvoir immense. Désespéré par leur rejet, Alberich vole l’or et renonce à l’amour pour forger l’anneau.
Wotan, roi des dieux, a commandé à deux géants, Fafner et Fasolt, de construire un château, Valhalla. En échange, Wotan a promis la déesse Freia, qui garde les pommes d’immortalité. Les géants réclament Freia une fois leur tâche accomplie.
Wotan et Loge (dieu du feu) partent récupérer l’anneau d’Alberich pour racheter Freia. Dans les entrailles de la terre, Alberich règne en tyran sur les Nibelungs grâce à l’anneau. Il a aussi un casque magique, le Tarnhelm, qui permet de changer d’apparence. Wotan et Loge le capturent en jouant sur sa vanité. Alberich est forcé de céder l’anneau mais maudit celui qui le possédera.
De retour, Wotan offre l’anneau aux géants pour sauver Freia. Les géants se disputent le trésor ; Fafner tue Fasolt et s’enfuit avec l’anneau et l’or. Les dieux entrent triomphalement à Valhalla, mais l’ombre de la malédiction plane.

« Die Walküre » – Siegmund, fils de Wotan, conçu avec une mortelle, erre à travers la forêt. Il trouve refuge chez Hunding, sans savoir qu’il est l’ennemi de sa famille. Sieglinde, la femme de Hunding, reconnaît en Siegmund son frère perdu. Ils s’aiment et fuient ensemble, provoquant la colère de Hunding.
Wotan –cliquer sur l’imagette pour la voir en plus grand-, qui a engendré Siegmund pour récupérer l’anneau, souhaite l’aider. Cependant, Fricka, déesse du mariage et épouse de Wotan, exige la mort de Siegmund pour protéger l’institution du mariage. Wotan, déchiré, cède à Fricka et retire son soutien à Siegmund. Brünnhilde, la Walkyrie favorite de Wotan, reçoit l’ordre d’abandonner Siegmund au combat. Touchée par l’amour de Siegmund et Sieglinde, elle désobéit et tente de protéger Siegmund. Wotan intervient lui-même et brise l’épée de Siegmund, Nothung, causant sa mort.
Brünnhilde prend Sieglinde, désormais enceinte, et s’enfuit avec elle. En punition pour sa désobéissance, Wotan condamne Brünnhilde à dormir sur un rocher, entourée d’un cercle de feu. Seul un héros sans peur pourra la réveiller.

« Siegfried » – Sieglinde, avant de mourir, a donné naissance à Siegfried. Mime, frère d’Alberich, élève Siegfried pour qu’il tue Fafner et récupère l’anneau. Siegfried, ignorant ses origines, est fort et intrépide. Mime tente de forger une épée pour Siegfried, mais échoue à chaque fois. Siegfried, frustré, forge lui-même Notung, l’épée brisée de son père –cliquer sur l’imagette pour la voir en plus grand-.
Il part à l’aventure et tue Fafner, devenu un dragon gardant l’anneau. En goûtant accidentellement le sang du dragon, Siegfried comprend le langage des oiseaux. Un oiseau lui révèle que Mime complote contre lui. Siegfried tue Mime et prend l’anneau ainsi que le Tarnhelm.
L’oiseau le conduit ensuite vers Brünnhilde, toujours endormie sur son rocher. Wotan tente de l’arrêter, mais Siegfried brise sa lance, symbolisant la fin de son pouvoir. Siegfried traverse le feu et réveille Brünnhilde. Ils s’aiment et échangent des vœux.

« Götterdämmerung », « Le crépuscule des dieux » – , Les Nornes (déesses du destin) tissent la corde du destin, mais celle-ci se brise, annonçant la fin des dieux. Siegfried et Brünnhilde vivent heureux jusqu’à ce que Siegfried parte à l’aventure. Il rencontre Gunther, roi des Gibichungen, et sa sœur Gutrune. Hagen, demi-frère de Gunther et fils d’Alberich, complote pour récupérer l’anneau.Gutrune donne à Siegfried une potion qui lui fait oublier Brünnhilde et tomber amoureux d’elle.Sous l’influence de la potion, Siegfried aide Gunther à conquérir Brünnhilde en prenant son apparence grâce au Tarnhelm.
Brünnhilde, trahie, jure vengeance contre Siegfried. Manipulée par Hagen, elle révèle à ce dernier le seul point vulnérable de Siegfried. Lors d’une chasse, Hagen tue Siegfried avec une lance –cliquer sur l’imagette pour la voir en plus grand-.
Son corps est ramené chez les Gibichungen, et Brünnhilde découvre la vérité. Elle ordonne de dresser un bûcher funéraire pour Siegfried. Elle monte elle-même sur le bûcher avec l’anneau et se jette dans les flammes. Le Rhin monte pour reprendre l’anneau, et Hagen se noie en tentant de l’obtenir. Le Valhalla est détruit par les flammes, marquant la fin des dieux et la rédemption de l’humanité.

Le livret – Sources littéraires
« Siegfried » et « Le crépuscule des dieux » sont directement inspirés par « La Niflunga Saga », poème épique en norrois du 13ème siècle et par « La chanson du Nibelungen » qui développe peu ou prou la même intrigue, écrite en haut-allemand et datant du 12ème ou du 13ème siècle: l’action se situe dans le royaume burgonde de Worms –les Gibichungen de Wagner– vers le 5ème siècle, à l’époque d’Attila, qui  joue un rôle secondaire dans le poème.
« L’or du Rhin » et « La Walkyrie » sont adaptés de sources éparses : les Eddas relatives aux mythologies nordiques, la Völsunga saga qui retrace l’histoire de Siegmund et Sieglinde et le –roman en prose datant du 13ème siècle-, et, enfin, le « Strassburger Heldenbuch » –1480-, dit aussi « Heldenbuch-Prosa », qui offre une représentation globale de l’ensemble de l’âge héroïque royaume burgonde, en partie sous la forme d’un récit, en partie sous la forme d’un catalogue de noms –Alberich est directement tiré de ce dernier ouvrage-.
Wagner souhaitait d’abord écrire un opéra contant la légende de Siegfried, les livrets des deux derniers opéras ont donc été rédigés en premier, puis complétés et réarrangés après l’écriture des livrets de « L’or du Rhin » et de « La Walkyrie ». Leur écriture a nécessité 5 ans, puis le compositeur s’est attaché à la mise en musique dans l’ordre de présentation des opéras, à partir de 1853 et jusqu’à écriture de la note finale, en 1874, presque 20 ans plus tard…

La version de la semaine
Même s’il ne s’agit pas de ma version favorite de ce prodigieux cycle parmi la vingtaine répertoriées au sein de ma discothèque –c’est la version en live à Bayreuth de Clemens Krauss, en 1953-, c’est cependant la version studio que je préfère. Elle est d’une grande cohérence, l’orchestre y tient un rôle narratif tout-à-fait novateur et joue remarquablement bien –c’est, à mes oreilles, la meilleure proposition orchestrale pour l’ensemble du cycle-. La direction de Karajan est caractérisée par un équilibre entre puissance et délicatesse. Contrairement à d’autres approches qui mettent davantage l’accent sur l’aspect monumental et héroïque de la musique de Wagner, Karajan opte pour une interprétation plus introspective et lyrique. Cela permet aux nuances des personnages et des relations d’émerger avec une clarté émotionnelle rare.
Les tempos, d’une remarquable fluidité, sont souvent plus lents que chez d’autres chefs, mais cela permet de donner à la musique une respiration, un espace où les motifs peuvent se développer avec une richesse harmonique exceptionnelle. Les chanteurs, jeunes et à l’aube de leur carrière pour une grande partie, sont tous convaincants dans l’optique voulue par le chef –transparence et clarté de la diction, attention portée au texte, expressivité– même si certains sont d’un format moins conséquent que les habituels tenants des principaux rôles à cette époque.
Il existe des bandes « pirates » enregistrées lors de représentations de chacun de ces quatre opéras –parus notamment chez Hunt dans un coffret de 12 CD désormais introuvable-, avec une distribution quasi-identique à celle des enregistrements de studio, qui montrent, dans un son convenable –il faut faire abstraction parfois d’un souffleur intempestif…-, que la conception générale de ce cycle n’est pas une pure « création de studio ». –Cliquer sur l’image pour la voir en plus grand-.

Sous la direction de Karajan, l’ouverture du « Rheingold », avec ses célèbres accords continus, est marquée par une fluidité et une transparence qui mettent en lumière l’élément aquatique. Karajan excelle à créer une atmosphère où l’or du Rhin semble briller et scintiller à travers l’orchestre, symbolisant à la fois la beauté et la corruption que cet or apporte. Son approche est plus subtile et moins martiale que celle de Solti, créant un sentiment d’irréalité et de rêve. Les cuivres ont une présence majestueuse mais pas écrasante. La dynamique entre Wotan et Alberich est traitée avec une tension croissante, mais Karajan met en lumière l’humanité derrière leurs actes, plutôt que de se concentrer uniquement sur leur symbolisme mythologique.

Dans « Die Walküre », Karajan adopte une approche particulièrement lyrique, mettant l’accent sur les relations humaines, notamment dans l’acte I avec l’amour entre Siegmund et Sieglinde. Contrairement à certains chefs qui privilégient l’aspect héroïque de cette musique, Karajan adopte un tempo plus lent et contemplatif, faisant ressortir l’aspect intime et tragique de l’œuvre. L’acte II, avec la confrontation entre Wotan et Brünnhilde est un sommet de tension dramatique. Karajan fait ressortir la lutte intérieure de Wotan, tiraillé entre ses devoirs divins et ses émotions paternelles. L’orchestre, sous sa baguette, est subtil mais puissant, chaque nuance étant parfaitement contrôlée pour servir le drame. L’acte III, avec la célèbre « Chevauchée des Walkyries », est moins tonitruant sous Karajan que sous d’autres chefs. Plutôt que d’insister sur la puissance brute, il opte pour une approche plus raffinée, mettant en avant la précision des motifs orchestraux.

« Siegfried » est souvent considéré comme l’opéra le naturaliste et lumineux du cycle. En amoureux de la nature, Karajan le traite avec une subtilité rare. L’introduction orchestrale à l’acte I, qui décrit le travail de Mime dans sa forge, est interprétée avec une clarté et une précision admirables. Siegfried est à la fois naïf et héroïque, mais Karajan ne pousse jamais trop loin l’aspect triomphaliste du personnage. Il privilégie la complexité de Siegfried, qui évolue tout au long de l’opéra de l’insouciance à une plus grande maturité. Le duo entre Siegfried et Brünnhilde à la fin de l’acte III est magnifiquement exécuté sous Karajan, avec une montée progressive de l’émotion. Plutôt que de se précipiter vers le climax, le chef permet à la musique de respirer, de sorte que la libération finale de Brünnhilde semble à la fois inévitable et profondément émotive.

Enfin, dans « Götterdämmerung », Karajan aborde la conclusion épique du cycle avec une grande noblesse. Le prélude est marqué par une tension contenue, Karajan maîtrisant chaque aspect de la montée orchestrale qui annonce la tragédie à venir.
Le personnage de Brünnhilde est central dans cette vision. Karajan met en lumière sa transformation, passant d’une héroïne guerrière à une figure féminine tragique et rédemptrice. Le climax final, avec l’auto-immolation de Brünnhilde et la destruction de Valhalla, est dirigé avec une grandeur implacable. Les motifs musicaux, notamment celui de la rédemption par l’amour, sont magnifiquement tissés ensemble. Karajan, tout en conservant la puissance dramatique, souligne aussi l’aspect cyclique et inexorable du destin dans cette œuvre.

Evidemment, avec ce Blu-ray « Pure Audio », on échappe à toutes les scories d’un enregistrement live et les conditions techniques sont excellentes.
Le nouveau remastering est tout-à-fait exceptionnel et magnifie des prises de son très soignées dès leur origine –il fallait concurrencer la version spectaculaire de Georg Solti enregistrée chez Decca-. Il rend par ailleurs mieux justice au « Crépuscule des dieux » en rééquilibrant la balance orchestrale : les cuivres sont désormais mieux intégrés et moins projetés en avant, alors que, notamment dans le premier report en CD, ils avaient tendance à tonitruer au détriment du reste de l’orchestre.

Playlist « Baroque à l’ancienne »

La playlist de ce jour est consacrée à des oeuvres du répertoire baroque interprétées « à l’ancienne », dans une perspective non HIP –historical informed performance-, et comprend :

Scarlatti – Sonates pour piano – Ivo Pogorelich. 1992
Bach – Sonates et partitas pour violon – Johanna Martzy. 1955
Handel – Concertos op. 6 N°5, 10 et 12 – OP Berlin, Herbert Von Karajan. 1966.
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Les sonates de Scarlatti sont ici interprétées au piano et non au clavecin, et s’inscrivent délibérément dans une perspective de « grand piano », virtuose et intense, malgré la forme aphoristique de ces oeuvres. Evidemment, on est très loin ici des versions enregistrées au clavecin, mais les sonates retenues dans ce disque se prêtent très bien à une interprétation au piano –c’est d’ailleurs pour cet instrument que je préfère ces sonates-. Mêmes si ces enregistrements ne sont pas très anciens, Ivo Pogorelich ne se préoccupe guère des apports de la musicologie dans son interprétation.
Beaucoup plus anciens, les disques [Bach – Martzy] –qui reste cependant ma versions préférée de ces oeuvres difficiles et arides : à titre anecdotique, Johanna Martzy fut la première femme à enregistrer ce corpus intégral– et [Handel – Karajan] datent d’avant la révolution « baroqueuse » apparue au tournant des années 70 avant de d’imposer au début des années 80. On ne joue plus ces oeuvres ainsi désormais, mais ils restent intéressants comme témoignages de l’évolution des traditions interprétatives.

Playlist « Fouilles archéologiques »

En attendant la nomination d’un nouveau gouvernement –comme je suis devenu un presqu’oisif 😈 , cette nomination prend beaucoup moins d’importance désormais…-, j’explore, ce matin, tel un archéologue, les tréfonds de ma discothèque, avec quelques-uns de mes plus vieux CD : de véritables 40 ans d’âge, encore en très bon état de marche, et du tout-venant basique pour un mélomane presque naissant. –Cliquer sur l’image pour la voir en plus grand-.

Il va de soi que ces albums ne déparent absolument pas ma discothèque, même si je n’écoute plus guère la symphonie inachevée de Schubert que j’adorais en ce temps-là et encore moins le disque d’extraits orchestraux consacré à Wagner –la prise de son reste superlative-, mais, à l’époque, j’étais bien trop désargenté pour m’offrir une version complète du Ring en CD, beaucoup trop coûteuse : en parité de pouvoir d’achat, un unique CD de 1984 représentait 44,21€ de 2023, alors un coffret de 13 ou 14 CD…

Playlist « Je prépare ma retraite ! »

Il y a quelques temps, je vous annonçais que j’avais été couvert de cadeaux lors des nombreux « pots de départ » organisés ici et là pour marquer mon entrée dans la vie oisive. Parmi ceux-ci, deux coffrets relativement volumineux passent ce jour entre mes oreilles. –Cliquer sur l’image pour la voir en plus grand-.

Ces deux coffrets, à la jolie ligne éditoriale, sont archi-complets et abondés de quelques enregistrements historiques, dont certains, très anciens, réalisés par Ravel himself. Le livret de présentation du coffret Debussy est également très intéressant, d’autant qu’il s’agit d’un compositeur que je connais très mal.
Evidemment, je n’épuiserai pas tant de trésors en une seule journée –ni même en une seule semaine-, au risque de l’épuisement et du rejet, d’autant que ces albums contiennent l’intégralité des « chansons » de leurs auteurs respectifs, qui sont d’une digestion plutôt difficile quand on est, comme moi, assez hermétique à la mise en musique de poèmes relativement obscurs. Mieux vaut donc les déguster à petites bouchées !
Pour la playlist de ce jour, ce sont les albums consacrés aux oeuvres pour piano à quatre mains ou pour deux pianos qui sont à l’honneur, avec notamment des transcriptions de « La mer » ou du « Prélude à l’après-midi d’un faune » –ici-, deux compositions dont je ne soupçonnais même pas qu’elles existaient pour le piano !

Playlist franco-française en Amérique

Le drôle de titre de cette notice s’explique ainsi : la playlist de ce jour est constitué d’oeuvres de compositeurs français, interprétées par des chefs français qui s’exilèrent aux États-Unis , où ils eurent la charge de quelques-uns des meilleurs orchestres locaux de l’époque : Boston pour Charles Munch, Chicago pour Pierre Monteux et Detroit pour Paul Paray.
Boston et Chicago faisaient partie des « Big Five » –Boston, Chicago, Cleveland, New York et Philadelphie– , Detroit était dans la même excellente catégorie que l’orchestre de Pittsburgh de William Steinberg, qui avaient peu à envier, au moins à cette époque, à leurs prestigieux aînés. –Cliquer sur l’image pour la voir en plus grand-.

Ces orchestres, façonnés par de remarquables chefs dès le début du 20ème siècle –Toscanini, Ormandy, Stokowski, puis un peu plus tard Szell ou Reiner…– et qui n’avaient pas été décimés par la seconde guerre mondiale, étaient formidables et pouvaient facilement concurrencer les meilleurs orchestres européens.
Les trois chefs français, qui bâtirent l’essentiel de leur réputation Outre-Atlantique, ont tous eu la chance de bénéficier des ingénieurs du son de RCA, qui, de la fin des années 50 au milieu des années 60, produisit quelques-uns des tout meilleurs enregistrement des débuts de l’ère de la stéréophonie. Ces trois albums font partie de ce magnifique héritage, et sont tous excellents.

Playlist à l’américaine

Ce matin, j’enchaîne une série de concertos pour piano bien connus interprétés par le pianiste américain Harvey Lavan Cliburn, qui connut une grande célébrité sous le nom de Van Cliburn, notamment parce qu’il remporta le premier concours international Tchaïkovsky –appelé à devenir un concours prestigieux-, à Moscou, en 1958, en pleine guerre froide. Le président du jury du concours, rien moins qu’Emil Gilels, au risque de l’emprisonnement ou de la déportation, dut se présenter devant le Soviet suprême pour justifier cette victoire.
Les quatre concertos de ce jour –Beethoven ; MacDowell ; Prokofiev ; Schumann– sont tous magistralement interprétés : Van Cliburn était un pianiste énergique et rigoureux, développant de fort elles sonorités. Solide est le terme qui me semble le mieux adapté pour caractériser son jeu. Il est accompagné de fort belle manière par l’orchestre de Chicago, sous la baguette notamment d’un Fritz Reiner toujours précis mais beaucoup plus souriant que d’habitude et presque tendre -notamment dans le concerto de Beethoven-. –Cliquer sur l’image pour la voir en plus grand-.

Tout au long de la décennie qui suivit son triomphe et avant un effacement progressif à partir du milieu des années 70, Van Cliburn enregistra quelques uns des plus grands –et célèbres– concertos du répertoire classique, dans d’excellentes conditions techniques –les fameuses prises de son RCA de l’époque– et en bénéficiant du support des meilleurs orchestres américains et et de chefs aussi renommés que Reiner, Leinsdorf ou Ormandy. Ces enregistrements, tous recommandables, sont réunis dans le coffret à tout petit prix présentés dans l’imagette de droite –les coffrets de cette collection sont généralement très recommandables et bénéficient d’un remastering de qualité-. A titre anecdotique, son enregistrement du premier concerto pour piano de Tchaïkovsky, qui fait partie de ce coffret, fut le premier disque de « musique classique » vendu à plus d’un million d’exemplaires.

Playlist « Défi des dix ans » – 7

La règle de ce défi, entamé tôt dans l’année et qui se trouve désormais à mi-chemin dans son accomplissement, est simple et rappelée ici. -Cliquer sur l’image pour la voir en plus grand-.

Cette septième étape constitue un tournant dans la vie et les productions du groupe, avec l’intronisation de Ronnie Wood –if he could-, guitariste des Faces, à la place de Mick Taylor pour épauler Keith Richards, encore en pilotage automatique pour deux ans et tenant à peine debout.
Le live à Los Angeles de 1975 est l’un des tout premiers concerts où il apparaît : de nombreuses dents grincèrent devant ses solos, très en-deçà du niveau de qualité de ceux de son prédécesseur, même s’il est très compétent à la slide-guitar –bottleneck au majeur et non à l’auriculaire– et qu’il fait le show à grands coups de pitreries. Ce concert, disponible depuis l’ouverture des archives du groupe, est très supérieur à l’officiel « Love You Live », enregistré principalement à Paris en 1976, à l’horrible pochette signée Andy Warhol et au contenu plutôt cacophonique –Keith Richards avait appris le décès de son fils, encore presque bébé, le jour-même, et était chargé comme une mule-.
Quant à Black And Blue, sorti en 1976, c’est un disque étrange et attachant, sans véritable unité stylistique. Il reflète la recherche du groupe d’un guitariste pouvant succéder à Mick Taylor, et l’on entend ainsi Harvey Mandel –ex Bluesbreakers ; ex-Canned Heat– ou Wayne Perkins –excellent guitariste dont l’unique défaut était de ne pas être Anglais-, parmi une liste de successeur où les noms d’Eric Clapton, Jeff Beck ou Rory Gallagher furent cités.

Playlist « Glorieuse voix wagnérienne »

Entre quelques activités estivales : promenades sous le soleil entre deux épisodes orageux, visite de la déchèterie voisine pour désencombrer un peu tous les cartons que j’avais mis de côté ces dernières semaines –commander en ligne et se faire livrer, c’est pratique mais les cartons vides finissent par prendre de la place…-, premiers préparatifs pour nos futures vacances –c’est vite fait pour ce qui me concerne, je ne suis pas du genre à remplir la voiture, TheCookingCat s’en charge très bien toute seule !-, je me consacre à cette très jolie playlist que j’ai offerte à mes oreilles ce jour : « Astrid Varnay chante Wagner », au travers trois albums originaux –réédités en deux CD en 1988 dans l’excellente série Dokumente, aujourd’hui disparue– qu’elle enregistra entre 1954 et 1957, au faîte de sa gloire donc, pour le label Deutsche Grammophon. –Cliquer sur l’image pour la voir en plus grand-.

Astrid Varnay, née le 25 avril 1918 à Stockholm et décédée le 4 septembre 2006 à Munich, était une soprano de renom aux doubles nationalités suédoise et américaine, célèbre en particulier pour ses interprétations des opéras de Richard Wagner. Issue d’une famille de musiciens d’origine hongroise réfugiés en Suède durant la première guerre mondiale, sa mère, Maria Javor, était une chanteuse d’opéra –soprano coloratura-, et son père, Alexander Varnay, un ténor dramatique. Astrid Varnay passa ensuite une partie de son enfance en Argentine avant de s’installer aux États-Unis avec sa famille, où son père mourut en 1924.

Dès son jeune âge, Astrid Varnay fut exposée à la musique et à l’opéra. Elle entama des études de piano puis se tourna vers le chant, prenant d’abord des leçons de sa mère, puis de la célèbre soprano Lotte Lehmannune Sieglinde pour l’éternité-. Cette dernière joua un rôle crucial dans le développement de sa carrière : en effet, la percée soudaine d’Astrid Varnay survint en 1941 à l’âge de 23 ans lorsqu’elle remplaça Lotte Lehmann dans le rôle de Sieglinde dans « Die Walküre » au Metropolitan Opera de New York. Cette performance inattendue et triomphale, la veille du bombardement japonais sur Pearl Harbour, a marqué le début d’une carrière impressionnante qui s’étendra sur plus de quatre décennies.
Après la seconde guerre mondiale, Astrid Varnay s’établit essentiellement en Allemagne, à Munich. En 1951, elle se lança le rôle de Brünnhilde dans le cycle complet du Ring à Bayreuth, remplaçant la célèbre soprano Kirsten Flagstad, qui l’avait recommandée à Wieland Wagner. Cette performance a solidifié sa réputation comme une Brünnhilde de premier plan, un rôle qu’elle continuerait à interpréter régulièrement à Bayreuth –où elle se produisit sans interruption pendant les 17 ans qui suivirent– et dans les autres grandes maisons d’opéra du monde.

Ainsi, Astrid Varnay a rapidement gagna sa réputation en tant que l’une des sopranos wagnériennes les plus importantes de son époque. Son registre vocal puissant et son talent d’actrice ont fait d’elle une interprète recherchée pour des rôles exigeants comme Brünnhilde dans « Der Ring des Nibelungen », Isolde dans « Tristan und Isolde », Ortrud dans « Lohengrin » et Kundry dans « Parsifal ». Outre Wagner, elle a également excellé dans des rôles de soprano dramatique dans des opéras de Strauss, Verdi et Puccini –mais il n’en reste que peu de témoignages– qui la firent parfois surnommer la « Callas allemande ». L’une des caractéristiques distinctives de la carrière de Varnay était sa capacité à endosser des rôles majeurs avec peu de préparation.
Après le milieu des années 50, son investissement dans ces rôles très lourds laissa des traces indéniables sur sa voix : vibrato marqué, justesse approximative avec une tendance à attaquer les notes par le bas, relâchement de la diction, mais ses incarnations très « ça passe ou ça casse » demeurent attachantes et son investissement dans les personnages ne faiblit pas. Dans les années 1960, Varnay commença à élargir son répertoire pour inclure des rôles de mezzo-soprano, tels que Klytämnestra dans Elektra de Strauss et la mère dans Hänsel und Gretel de Humperdinck. Cette transition a permis à Varnay de prolonger sa carrière avec ses interprétations nuancées et passionnées.

Au cours de sa carrière, Varnay a travaillé avec certains des chefs d’orchestre les plus éminents de son époque : Wilhelm Furtwängler, Arturo Toscanini et Herbert von Karajan. Elle a également partagé la scène avec d’autres grands chanteurs, parmi lesquels Lauritz Melchior, Wolfgang Windgassen et Hans Hotter. Son interprétation des héroïnes wagnériennes était marquée par une intensité dramatique et une endurance vocale remarquables, lui permettant de se distinguer dans des rôles exigeants physiquement et émotionnellement, dont de très nombreux enregistrements « pirates » désormais régulièrement publiés gardent la trace, dans des conditions techniques plutôt décentes : en effet, sa discographie officielle est relativement réduite, mais de on dispose de tous les « Ring » de Bayreuth entre 1951 et 1958, sous la baguette des « 4 K » Karajan, Krauss, Keilberth et Knapperstbusch, ainsi que de ses apparitions dans les rôles d’Ortrud –où elle était géniale et méchante à souhait– ou de Senta : dans tous ces rôles, elle a marqué l’histoire du Neues Bayreuth par sa voix puissante et son talent dramatique qui en faisaient des incarnations exceptionnelles.

Playlist « Beethoven à la mode soviétique »

Entamée avant l’aube, la playlist du jour propose trois pianistes russes, et pas n’importe lesquels, dans un programme consacré intégralement à des sonates de Beethoven. Les pianistes sont Heinrich Neuhaus, Sviatoslav Richter et Emil Gilels, les deux derniers étant enregistrés en concert. Quant aux sonates écoutées, il s’agit des n°3, 9, 12, 14, 24, 29, 30 et 31. –Cliquer sur l’image pour la voir en plus grand-.

Les enregistrements d’Heinrich Neuhaus sont difficiles à dater, le disque est issu d’un coffret « grands pianistes russes » parus chez en 1986 chez Harmonia Mundi, éditeur français aujourd’hui disparu, qui publiait à cette occasion des enregistrements Melodiya : d’après mes rapides recherches, ces sonates auraient été enregistrées entre 1947 et 1950. Heinrich Neuhaus fut le professeur aussi bien de Gilels –les deux hommes ne s’appréciaient pas, Gilels affirme n’avoir quasiment rien appris de lui, d’autant qu’il avait déjà remporté à l’unanimité le premier prix lors du concours de l’Union– que de Richter, son élève « chouchou ». Etonnamment, il eut la vie sauve durant la guerre, alors qu’il était emprisonné à la Loubianka, grâce à l’intervention personnelle de Gilels directement auprès de Staline. Remarquable pédagogue et interprète, il donne à entendre quatre excellentes versions de ces sonates, dans un son très convenable.

Considéré comme l’un des très grands pianistes du vingtième siècle, Sviatoslav Richter a été autorisé à effectuer des tournées en Occident et aux Etats-Unis à partir de 1960. Il y effectua quelques enregistrements, dont les sonates écoutées ce jour. A mes oreilles, le Beethoven de Richter est très inégal –variable du bon à l’exceptionnel-, et largement tributaire me semble-t-il de l’humeur du jour –le pianiste était d’une personnalité plutôt complexe et parfois assez peu amène-. Pour ces trois sonates, qui ne sont pas les plus connues, il semble être dans un très bon jour.
Enfin, les lecteurs réguliers de ce blog savent que les sonates pour pianode Beethoven par Emil Gilels constituent pour moi le sommet de la discographie de ces oeuvres, bien que son décès prématuré nous prive d’une intégrale complète –indisponible à l’heure actuelle, mais elle ne semble pas supprimée par l’éditeur– . Ici, en concert, il livre une « Hammerklavier » à l’abattage considérable, et dont le troisième mouvement est d’une beauté à couper le souffle. Un très grand disque, qui vient clore une superbe playlist !

Un jour, un album – Mahler apaisé • Symphonies, David Zinman

J’ai découvert Gustav Mahler assez jeune, encore adolescent, et, très vite, j’ai été passionné par les symphonies de ce compositeur, entamant mes découvertes par la première puis la quatrième symphonies –les plus faciles d’accès à mon avis– et élargissant ensuite progressivement mes explorations jusqu’à les connaître et les apprécier toutes, sauf la huitième dite « Symphonie des Mille », que j’ai toujours détestée cordialement et que je ne comprends pas –je la trouve grandiloquente, clinquante et, pour tout dire, inintéressante-. Sa première symphonie était d’ailleurs l’un de mes dix premiers CD, tous genres confondus.
Ainsi, vers 16 ou 17 ans, après avoir lavé beaucoup de voitures et tondu de nombreux hectares de pelouse dans tour le voisinage, je parvenais à m’acheter l’un des tout premiers coffrets en 33 tours : ce copieux volume bleu de 14 LP –cliquer sur l’imagette pour la voir en plus grand– dont je vous ai déjà parlé il y a quelques temps, lors de sa dernière très belle remastérisation en CD et Blu-Ray audio, et elle passèrent très souvent –et à très haut volume sonoresur ma platine à l’époque, au grand désespoir de mon père, qui a toujours considéré Mahler comme un névrosé au plus parfait mauvais goût.
Mahler est un compositeur dont les symphonies supportent assez bien de nombreuses options d’interprétation très divergentes : personnellement, outre la versions sus-citée de Kubelik, j’apprécie beaucoup l’option parfois déjantée, torturée et intellectualisante de Sinopoli –mais je dois être assez seul à porter cette appréciation, cette intégrale étant généralement assez controversée : parfois, j’ai des goûts bizarres ! -. Puis, dans une moindre mesure, et toujours en termes d’intégrale, j’apprécie aussi les dernières versions assez décantées d’Abbado/Berlin & Lucerne –un chef qui me laisse généralement assez indifférent-, ainsi que celles de Bernard Haitink à Amsterdam ou même de Bernstein dans sa première intégrale new-yorkaise très bien rééditée chez Sony.

Curieusement, et progressivement, je me suis détaché de ces symphonies depuis plusieurs années, et ne les écoute plus aussi régulièrement qu’auparavant, un peu lassé par ces « grosses machines » parfois bruyantes et monumentales. Je lui préfère désormais nettement Sibelius, qui le rencontra en 1907 : les deux musiciens avaient une conception totalement opposée de ce que doit être une symphonie :
« La symphonie doit être grande comme le monde entier, elle doit tout embrasser. » – Mahler ;
« Une symphonie se par caractérise le dépouillement, l’ascèse, l’expression rigoureuse de l’essentiel, l’art du non-dit et de l’aphorisme.. » – Sibelius.

Cependant, j’y suis revenu durant ce week-end grâce à une excellente version trouvée à prix fracassé chez un soldeur d’Outre-Rhin : cette intégrale de 15 SACD, lisibles également sur une lecteur CD, à la belle ligne éditoriale –illustrations attractives de chaque pochette cartonnée, copieux et intéressant livret en Anglais seulement, DVD en supplément…– est superbe .
L’orchestre de Zürich est d’une grande beauté, les interprétations de son chef américain, David Zinman, qui en fut titulaire durant 20 ans, sont claires et lumineuses, tirant pleinement partie de la beauté des pupitres, les choeurs et chanteurs solistes sont tout-à-fait adéquats et l’ensemble procure une vision plutôt apaisée de ces symphonies, là où d’autres interprétations privilégient les cataclysmes violents. Les prises de son –couche CD– sont très bonnes sans être exceptionnelles, je n’ai pas pu vérifier encore la couche SACD.

Une excellente surprise !