Chauvinisme musical

J’ai récupéré, il y peu de temps, ce singulier livre –cliquer sur l’image pour la voir en plus grand-, genre de petit guide critique des disques parus en France entre 1946 et 1952, soit juste au moment de l’émergence des premiers microsillons 33 tours. Sa lecture, en 2019, est assez intéressante : ayant accès aux archives de la revue « Gramophone » depuis la parution de son premier numéro, en 1923, j’avais déjà eu l’occasion d’entrevoir que la critique musicale est parfois tributaire des « goûts nationaux » –c’est moins vrai lorsqu’on lit les revues allemandes, par exemple, mais en lien peut-être avec le plus grand nombre de compositeurs et d’interprètes austro-allemands dans le répertoire classique courant-.

Quoi qu’il en soit, il me semble que les critiques musicaux français étaient encore plus chauvins que leurs homologues étrangers, que ce soit en matière de compositeurs ou d’interprètes. La fameuse « clarté française », le goût pour une approche « rationnelle » sont, ici, exacerbés de manière particulièrement subjective, et je m’étonne que de si réputés « musicologues » aient, pu, parfois, se montrer si chauvins, si dogmatiques et, finalement, si peu clairvoyants !
Certes, on se situe presqu’encore au sortir de la guerre, mais il me semblait que l’art n’avait pas trop de frontières…

Un petit extrait, consacré aux symphonies de Mahler, vous donnera une idée de la chose : « Ces neuf symphonies sont lourdes, interminables et kolossales, entassant d’instrumentaux Pélion sur des Ossa de choeurs à dix parties, comme dans la VIIIème, qu’on appelle Des Mille, parce qu’elle exigerait, à dire d’experts, mille exécutants ou mille heures de répétition, sinon l’un et l’autre. […] »
A propos de sa quatrième symphonie, la seule jugée digne d’être entendue, on peut lire : « Evidemment, comme ça se dit sans élégance, il a ici à boire et à manger -disons même à bâfrer et à pitancher , cette progéniture étant évidemment de nature pantagruélique ».

Dans ce livre, Bruckner relève à peu près du même traitement, et Bartok ne ferait « se pâmer que les snobs prétentieux »… En revanche, la Marche Hongroise » de Berlioz est une « oeuvre somptueuse » et le « Requiem » de Fauré est un symbole « de la grandeur à la française ».

En matière d’interprètations, le constat est encore plus cocasse, et des disques qui ont passé l’épreuve du temps et sont aujourd’hui regardés comme des enregistrements « de référence », y compris en France, font l’objet de critiques, par des grand noms de la presse musicale française de l’époque, dont le chauvinisme le dispute à la mauvaise foi. En revanche, parmi les disques recommandés, souvent par des interprètes français aujourd’hui oubliés, même par les connaisseurs, très peu sont passés à la postérité.

L’autre singularité, c’est la faiblesse du nombre de disques parus en France, à cette époque, au regard des catalogues autrement plus volumineux en Allemagne ou en Angleterre. Finalement, la « mondialisation » n’a pas que des inconvénients !