Playlist russo-germano-hongroise !

J’avais déjà évoqué il y a une dizaine d’années de manière un peu détaillée –à lire ici- la courte carrière de Ferenc Fricsay, tôt disparu à 48 ans, et star du label Deutsche Grammophon de la fin des années 40 au milieu des années 50, label qu’il contribua à largement abonder durant cette période, aussi bien dans le domaine de la musique orchestrale que dans celui de l’opéra : son leg discographique comprend une centaine de volumes enregistré en une petite douzaine d’années .
La playlist de ce jour lui est entièrement consacrée, via trois albums qui bénéficient d’excellentes conditions techniques pour l’époque –de la monophonie de première qualité– et d’un remastering soigné : elle propose ainsi des oeuvres de deux musiciens russes, interprétées par des orchestres allemands dirigés par un chef hongrois –cliquer sur l’image pour la voir en plus grand– !

La sérénade pour cordes de Tchaïkovski est une œuvre que j’apprécie beaucoup, d’accès très facile, et qui oscille entre vigueur chantante et douce mélancolie, mobilisant ponctuellement des airs de la musique populaire russe.
La version de Ferenc Fricsay est tout-à-fait excellente et permet de mettre en valeur les cordes de son orchestre –à cette époque (1953) les meilleurs pupitres du RIAS de Berlin-. ****

Toujours en 1953 et toujours à Berlin, mais avec l’orchestre philharmonique cette fois, la version de la sixième symphonie « Pathétique » de Tchaikovskyl’une des toute premières œuvres que j’ai connue, enfant-, au classicisme très épuré, est l’une des meilleures de la discographie.
Fricsay réenregistra l’oeuvre avec son orchestre, le RIAS Berlin, en 1959 : une autre belle version, même si je préfère celle écoutée ce jour. *****

Enfin, la très belle suite symphonique « Shéhérazade » de Rimsky-Korsakov, en quatre parties, est très bien interprétée –un enregistrement de 1957-, dans une veine là encore très classique mais qui ne nuit pas à la narration, mais expose les limites de l’orchestre, qui, même s’il ne démérite pas, ne possède pas les couleurs ou la souplesse des plus beaux orchestres européens de l’époque. ****

Playlist « grands classiques – Seconde chance »

J’ai pioché au hasard dans ma discothèque trois disques consacrés à de « grands classique » dont j’avais gardé un souvenir pour le moins mitigé –en matière d’interprétation– afin de confirmer ou d’infirmer les impressions plutôt défavorables qu’ils avaient laissées dans ma mémoire. Les étoiles attribuées correspondent mon appréciation après réécoute.-Cliquer sur l’image pour la voir en plus grand-.

• Beethoven – Symphonie n°5 – Bernstein/New York. Après réécoute, je reste sur une impression mitigée. Certes, le « jeune » Bernstein de New York n’est pas encore le Bernstein plus âgé plein de maniérismes qui enregistra tardivement en Europe, mais cette cinquième symphonie est bizarre, avec son premier mouvement pris plutôt lentement et ses déséquilibres orchestraux ponctuels. La transition entre les troisième et quatrième mouvement est cependant très bien gérée et le deuxième mouvement s’avère plutôt chantant. ***
• Bach – Variations Goldberg – Keith Jarrett (clavecin). Voilà une oeuvre que j’apprécie particulièrement, que j’écoute souvent et dont ma discothèque regorge de versions. Celle de Keith Jarrett n’est pas mal jouée, mais, sur des tempi plutôt lents, se présente comme une succession de petits moments –parfois agréables-sans garantir une cohérence d’ensemble et, au final, aboutit à un résultat plutôt soporifique –ce qui peut s’avérer pratique l’oeuvre étant écrite à destination d’un insomniaque ! -. **
• Tchaikovsky – Symphonie n°4 – Celibidache/Munich. C’est lent, pachydermique et pauvre en couleurs. Personnellement, je trouve cela d’un mauvais goût remarquable, mais d’autres mélomanes en raffolent et ne jurent que par ce chef, qui savait mieux que les compositeurs ce que contenait leur musique –cf. ses théories sur la phénoménologie de la musique– et, vers la fin de sa vie, dirigeait tout de manière uniformément lentissime… Je crois que c’est un des pires disques de ma discothèque ! *

Dimanche matin à l’opéra – Wozzeck, d’Alban Berg

La séance de ce « dimanche matin » à l’opéra est consacrée à l’un de mes opéras favori : Wozzeck, d’Alban Berg, dans l’excellente version de Claudio Abbado –un chef que je n’apprécie pas particulièrement en général, et donc peu présent dans ma discothèque– enregistrée lors d’une représentation à l’opéra de Vienne en 1987. –Cliquer sur l’image pour la voir en plus grand-.

Contrairement aux précédentes, cette notule dominicale sera relativement brève : la notice Wikipedia consacrée à cet opéra est d’une grande qualité et relativement exhaustive, vous pouvez la lire ici. Vous pourrez également compléter votre lecture par l’article –assez bref ceux-ci– consacrés à Georg Büchner, inspirateur du livret et à la pièce de théâtre « Woyzeck ».

Etonnamment, malgré sa disparition très précoce à 23 ans, Büchner eut une influence considérable et fut à l’origine de deux autres opéras : l’un consacré à Woyzeck composé par Manfred Gurlitt exactement au même moment que celui de Berg, et l’autre tiré de « La mort de Danton », de Gottfried von Einem, créé en 1947. Le film « Danton » d’Andrej Wajda, avec Gérard Depardieu, s’en inspire également : même s’il est l’adaptation d’une pièce polonaise de Stanislawa Przybyszewska –fervente robespierriste-, le parti-pris très favorable à Danton dans le film est issu de la pièce de Büchner.

Si vous avez un peu moins de deux heures à dépenser dans les temps à venir, je vous recommande de vous rendre virtuellement à Vienne pour découvrir cette version en direct de l’opéra de Vienne, en suivant les liens indiqués ci-dessous :

Acte 1     Acte 2     Acte 3

Wozzeck bénéficie par ailleurs d’une discographie de grande qualité, puisqu’outre l’excellente version de ce jour, je dispose également des versions listées ci-dessous dans ma discothèque, qui présente toutes remarquables et complémentaires. L’opéra de Manfred Gurlitt est d’une moindre puissance émotionnelle et n’est guère passé à la postérité, mais il mérité d’être connu.

Une semaine à l’opéra – Wagner, Der Ring des Nibelungen – Karajan

Au rythme d’un opéra par jour, ma fin de semaine s’est avérée fructueuse, puisque, depuis jeudi, j’ai pu écouter l’intégralité de « L’anneau du Nibelungen » de Richard Wagner, dans la version d’Herbert Von Karajan, enregistrée préalablement aux représentations qu’il donna, chaque année à Pâques entre 1967 et 1970, lors de « son » festival de Salzbourg. C’est le tout premier coffret d’opéra de Wagner que je m’étais offert, il y a plus de quarante ans : un volumineux pavé de 19 LP accompagnés d’un livret monolingue en Allemand, acheté en Allemagne pour moins de la moitié du prix auquel il était alors vendu en France –où cette édition allemande et vraisemblablement réservée au marché d’Outre-Rhin n’est d’ailleurs jamais sortie, cf. imagette de droite-.
Aujourd’hui, l’ensemble des quatre opéras tient sur un unique Bluray « Pure Audio » très soigneusement remastérisé en haute définition : le son est tout-à-fait remarquable. –Cliquer sur l’image pour la voir en plus grand-.

La saga du Festival de Pâques de Salzbourg, totalement dépendant de la volonté de Karajan, qui en fut l’initiateur, le financeur et le directeur artistique-chef d’orchestre-metteur en scène-éclairagiste-décorateur-concepteur des costumes et s’occupait de tout, sauf de vendre les billets, est racontée ici. Le chef y dirigea chaque année un opéra, depuis la date de sa création, fin 1966 –Karajan voulait avoir les mains totalement libres et échapper aux contingences et contraintes des maisons d’opéra après son mandat de directeur artistique à l’opéra de Vienne de 1957 à 1964– jusqu’à sa mort en 1989. Le festival ne percevant aucune subvention et le chef ne touchant aucun cachet pour ses prestations, seule la billetterie et la vente des disques servait à son financement. Dans cette perspective, et afin d’équilibrer le budget, Karajan conçut l’idée d’enregistrer les opéras présentés chaque année avant qu’ils ne soient représentés sur scène, les séances d’enregistrement servant de répétition et les enregistrements pouvant ensuite servir de supports à la mise en scène et aux éclairages.
Ainsi, à son décès, il avait notamment enregistré et présenté à Salzbourg tous les opéras de Wagner à l’exception de Tannhaüser. A l’occasion de la création du festival de Pâques, le premier opéra représenté fut la Walkyrie, suivi ensuite des trois autres opéras du cycle de « L’anneau du Nibelungen ». Les séances d’enregistrement, à la Jesus-Christus-Kirche, à l’excellente acoustique, furent réalisées selon le planning suivant.
• La walkyrie : décembre 1966
• L’or du Rhin : décembre 1967
• Siegfried : décembre 1968 –
• Le crépuscule des dieux : octobre 1969

Argument –résumé très succinct de ce cycle qui s’étend sur près de quinze heures...-.
« Das Rheingold ». « L’or du Rhin » – Le Rhin, rivière sacrée, abrite un trésor : l’or du Rhin. Trois ondines (Woglinde, Wellgunde, Flosshilde) veillent sur cet or magique. Alberich, un nain Nibelung, essaie de séduire les ondines sans succès –cliquer sur l’imagette pour la voir en plus grand-.. Il découvre que quiconque forge un anneau avec cet or acquiert un pouvoir immense. Désespéré par leur rejet, Alberich vole l’or et renonce à l’amour pour forger l’anneau.
Wotan, roi des dieux, a commandé à deux géants, Fafner et Fasolt, de construire un château, Valhalla. En échange, Wotan a promis la déesse Freia, qui garde les pommes d’immortalité. Les géants réclament Freia une fois leur tâche accomplie.
Wotan et Loge (dieu du feu) partent récupérer l’anneau d’Alberich pour racheter Freia. Dans les entrailles de la terre, Alberich règne en tyran sur les Nibelungs grâce à l’anneau. Il a aussi un casque magique, le Tarnhelm, qui permet de changer d’apparence. Wotan et Loge le capturent en jouant sur sa vanité. Alberich est forcé de céder l’anneau mais maudit celui qui le possédera.
De retour, Wotan offre l’anneau aux géants pour sauver Freia. Les géants se disputent le trésor ; Fafner tue Fasolt et s’enfuit avec l’anneau et l’or. Les dieux entrent triomphalement à Valhalla, mais l’ombre de la malédiction plane.

« Die Walküre » – Siegmund, fils de Wotan, conçu avec une mortelle, erre à travers la forêt. Il trouve refuge chez Hunding, sans savoir qu’il est l’ennemi de sa famille. Sieglinde, la femme de Hunding, reconnaît en Siegmund son frère perdu. Ils s’aiment et fuient ensemble, provoquant la colère de Hunding.
Wotan –cliquer sur l’imagette pour la voir en plus grand-, qui a engendré Siegmund pour récupérer l’anneau, souhaite l’aider. Cependant, Fricka, déesse du mariage et épouse de Wotan, exige la mort de Siegmund pour protéger l’institution du mariage. Wotan, déchiré, cède à Fricka et retire son soutien à Siegmund. Brünnhilde, la Walkyrie favorite de Wotan, reçoit l’ordre d’abandonner Siegmund au combat. Touchée par l’amour de Siegmund et Sieglinde, elle désobéit et tente de protéger Siegmund. Wotan intervient lui-même et brise l’épée de Siegmund, Nothung, causant sa mort.
Brünnhilde prend Sieglinde, désormais enceinte, et s’enfuit avec elle. En punition pour sa désobéissance, Wotan condamne Brünnhilde à dormir sur un rocher, entourée d’un cercle de feu. Seul un héros sans peur pourra la réveiller.

« Siegfried » – Sieglinde, avant de mourir, a donné naissance à Siegfried. Mime, frère d’Alberich, élève Siegfried pour qu’il tue Fafner et récupère l’anneau. Siegfried, ignorant ses origines, est fort et intrépide. Mime tente de forger une épée pour Siegfried, mais échoue à chaque fois. Siegfried, frustré, forge lui-même Notung, l’épée brisée de son père –cliquer sur l’imagette pour la voir en plus grand-.
Il part à l’aventure et tue Fafner, devenu un dragon gardant l’anneau. En goûtant accidentellement le sang du dragon, Siegfried comprend le langage des oiseaux. Un oiseau lui révèle que Mime complote contre lui. Siegfried tue Mime et prend l’anneau ainsi que le Tarnhelm.
L’oiseau le conduit ensuite vers Brünnhilde, toujours endormie sur son rocher. Wotan tente de l’arrêter, mais Siegfried brise sa lance, symbolisant la fin de son pouvoir. Siegfried traverse le feu et réveille Brünnhilde. Ils s’aiment et échangent des vœux.

« Götterdämmerung », « Le crépuscule des dieux » – , Les Nornes (déesses du destin) tissent la corde du destin, mais celle-ci se brise, annonçant la fin des dieux. Siegfried et Brünnhilde vivent heureux jusqu’à ce que Siegfried parte à l’aventure. Il rencontre Gunther, roi des Gibichungen, et sa sœur Gutrune. Hagen, demi-frère de Gunther et fils d’Alberich, complote pour récupérer l’anneau.Gutrune donne à Siegfried une potion qui lui fait oublier Brünnhilde et tomber amoureux d’elle.Sous l’influence de la potion, Siegfried aide Gunther à conquérir Brünnhilde en prenant son apparence grâce au Tarnhelm.
Brünnhilde, trahie, jure vengeance contre Siegfried. Manipulée par Hagen, elle révèle à ce dernier le seul point vulnérable de Siegfried. Lors d’une chasse, Hagen tue Siegfried avec une lance –cliquer sur l’imagette pour la voir en plus grand-.
Son corps est ramené chez les Gibichungen, et Brünnhilde découvre la vérité. Elle ordonne de dresser un bûcher funéraire pour Siegfried. Elle monte elle-même sur le bûcher avec l’anneau et se jette dans les flammes. Le Rhin monte pour reprendre l’anneau, et Hagen se noie en tentant de l’obtenir. Le Valhalla est détruit par les flammes, marquant la fin des dieux et la rédemption de l’humanité.

Le livret – Sources littéraires
« Siegfried » et « Le crépuscule des dieux » sont directement inspirés par « La Niflunga Saga », poème épique en norrois du 13ème siècle et par « La chanson du Nibelungen » qui développe peu ou prou la même intrigue, écrite en haut-allemand et datant du 12ème ou du 13ème siècle: l’action se situe dans le royaume burgonde de Worms –les Gibichungen de Wagner– vers le 5ème siècle, à l’époque d’Attila, qui  joue un rôle secondaire dans le poème.
« L’or du Rhin » et « La Walkyrie » sont adaptés de sources éparses : les Eddas relatives aux mythologies nordiques, la Völsunga saga qui retrace l’histoire de Siegmund et Sieglinde et le –roman en prose datant du 13ème siècle-, et, enfin, le « Strassburger Heldenbuch » –1480-, dit aussi « Heldenbuch-Prosa », qui offre une représentation globale de l’ensemble de l’âge héroïque royaume burgonde, en partie sous la forme d’un récit, en partie sous la forme d’un catalogue de noms –Alberich est directement tiré de ce dernier ouvrage-.
Wagner souhaitait d’abord écrire un opéra contant la légende de Siegfried, les livrets des deux derniers opéras ont donc été rédigés en premier, puis complétés et réarrangés après l’écriture des livrets de « L’or du Rhin » et de « La Walkyrie ». Leur écriture a nécessité 5 ans, puis le compositeur s’est attaché à la mise en musique dans l’ordre de présentation des opéras, à partir de 1853 et jusqu’à écriture de la note finale, en 1874, presque 20 ans plus tard…

La version de la semaine
Même s’il ne s’agit pas de ma version favorite de ce prodigieux cycle parmi la vingtaine répertoriées au sein de ma discothèque –c’est la version en live à Bayreuth de Clemens Krauss, en 1953-, c’est cependant la version studio que je préfère. Elle est d’une grande cohérence, l’orchestre y tient un rôle narratif tout-à-fait novateur et joue remarquablement bien –c’est, à mes oreilles, la meilleure proposition orchestrale pour l’ensemble du cycle-. La direction de Karajan est caractérisée par un équilibre entre puissance et délicatesse. Contrairement à d’autres approches qui mettent davantage l’accent sur l’aspect monumental et héroïque de la musique de Wagner, Karajan opte pour une interprétation plus introspective et lyrique. Cela permet aux nuances des personnages et des relations d’émerger avec une clarté émotionnelle rare.
Les tempos, d’une remarquable fluidité, sont souvent plus lents que chez d’autres chefs, mais cela permet de donner à la musique une respiration, un espace où les motifs peuvent se développer avec une richesse harmonique exceptionnelle. Les chanteurs, jeunes et à l’aube de leur carrière pour une grande partie, sont tous convaincants dans l’optique voulue par le chef –transparence et clarté de la diction, attention portée au texte, expressivité– même si certains sont d’un format moins conséquent que les habituels tenants des principaux rôles à cette époque.
Il existe des bandes « pirates » enregistrées lors de représentations de chacun de ces quatre opéras –parus notamment chez Hunt dans un coffret de 12 CD désormais introuvable-, avec une distribution quasi-identique à celle des enregistrements de studio, qui montrent, dans un son convenable –il faut faire abstraction parfois d’un souffleur intempestif…-, que la conception générale de ce cycle n’est pas une pure « création de studio ». –Cliquer sur l’image pour la voir en plus grand-.

Sous la direction de Karajan, l’ouverture du « Rheingold », avec ses célèbres accords continus, est marquée par une fluidité et une transparence qui mettent en lumière l’élément aquatique. Karajan excelle à créer une atmosphère où l’or du Rhin semble briller et scintiller à travers l’orchestre, symbolisant à la fois la beauté et la corruption que cet or apporte. Son approche est plus subtile et moins martiale que celle de Solti, créant un sentiment d’irréalité et de rêve. Les cuivres ont une présence majestueuse mais pas écrasante. La dynamique entre Wotan et Alberich est traitée avec une tension croissante, mais Karajan met en lumière l’humanité derrière leurs actes, plutôt que de se concentrer uniquement sur leur symbolisme mythologique.

Dans « Die Walküre », Karajan adopte une approche particulièrement lyrique, mettant l’accent sur les relations humaines, notamment dans l’acte I avec l’amour entre Siegmund et Sieglinde. Contrairement à certains chefs qui privilégient l’aspect héroïque de cette musique, Karajan adopte un tempo plus lent et contemplatif, faisant ressortir l’aspect intime et tragique de l’œuvre. L’acte II, avec la confrontation entre Wotan et Brünnhilde est un sommet de tension dramatique. Karajan fait ressortir la lutte intérieure de Wotan, tiraillé entre ses devoirs divins et ses émotions paternelles. L’orchestre, sous sa baguette, est subtil mais puissant, chaque nuance étant parfaitement contrôlée pour servir le drame. L’acte III, avec la célèbre « Chevauchée des Walkyries », est moins tonitruant sous Karajan que sous d’autres chefs. Plutôt que d’insister sur la puissance brute, il opte pour une approche plus raffinée, mettant en avant la précision des motifs orchestraux.

« Siegfried » est souvent considéré comme l’opéra le naturaliste et lumineux du cycle. En amoureux de la nature, Karajan le traite avec une subtilité rare. L’introduction orchestrale à l’acte I, qui décrit le travail de Mime dans sa forge, est interprétée avec une clarté et une précision admirables. Siegfried est à la fois naïf et héroïque, mais Karajan ne pousse jamais trop loin l’aspect triomphaliste du personnage. Il privilégie la complexité de Siegfried, qui évolue tout au long de l’opéra de l’insouciance à une plus grande maturité. Le duo entre Siegfried et Brünnhilde à la fin de l’acte III est magnifiquement exécuté sous Karajan, avec une montée progressive de l’émotion. Plutôt que de se précipiter vers le climax, le chef permet à la musique de respirer, de sorte que la libération finale de Brünnhilde semble à la fois inévitable et profondément émotive.

Enfin, dans « Götterdämmerung », Karajan aborde la conclusion épique du cycle avec une grande noblesse. Le prélude est marqué par une tension contenue, Karajan maîtrisant chaque aspect de la montée orchestrale qui annonce la tragédie à venir.
Le personnage de Brünnhilde est central dans cette vision. Karajan met en lumière sa transformation, passant d’une héroïne guerrière à une figure féminine tragique et rédemptrice. Le climax final, avec l’auto-immolation de Brünnhilde et la destruction de Valhalla, est dirigé avec une grandeur implacable. Les motifs musicaux, notamment celui de la rédemption par l’amour, sont magnifiquement tissés ensemble. Karajan, tout en conservant la puissance dramatique, souligne aussi l’aspect cyclique et inexorable du destin dans cette œuvre.

Evidemment, avec ce Blu-ray « Pure Audio », on échappe à toutes les scories d’un enregistrement live et les conditions techniques sont excellentes.
Le nouveau remastering est tout-à-fait exceptionnel et magnifie des prises de son très soignées dès leur origine –il fallait concurrencer la version spectaculaire de Georg Solti enregistrée chez Decca-. Il rend par ailleurs mieux justice au « Crépuscule des dieux » en rééquilibrant la balance orchestrale : les cuivres sont désormais mieux intégrés et moins projetés en avant, alors que, notamment dans le premier report en CD, ils avaient tendance à tonitruer au détriment du reste de l’orchestre.

Playlist « Baroque à l’ancienne »

La playlist de ce jour est consacrée à des oeuvres du répertoire baroque interprétées « à l’ancienne », dans une perspective non HIP –historical informed performance-, et comprend :

Scarlatti – Sonates pour piano – Ivo Pogorelich. 1992
Bach – Sonates et partitas pour violon – Johanna Martzy. 1955
Handel – Concertos op. 6 N°5, 10 et 12 – OP Berlin, Herbert Von Karajan. 1966.
Cliquer sur l’image pour la voir en plus grand-.

Les sonates de Scarlatti sont ici interprétées au piano et non au clavecin, et s’inscrivent délibérément dans une perspective de « grand piano », virtuose et intense, malgré la forme aphoristique de ces oeuvres. Evidemment, on est très loin ici des versions enregistrées au clavecin, mais les sonates retenues dans ce disque se prêtent très bien à une interprétation au piano –c’est d’ailleurs pour cet instrument que je préfère ces sonates-. Mêmes si ces enregistrements ne sont pas très anciens, Ivo Pogorelich ne se préoccupe guère des apports de la musicologie dans son interprétation.
Beaucoup plus anciens, les disques [Bach – Martzy] –qui reste cependant ma versions préférée de ces oeuvres difficiles et arides : à titre anecdotique, Johanna Martzy fut la première femme à enregistrer ce corpus intégral– et [Handel – Karajan] datent d’avant la révolution « baroqueuse » apparue au tournant des années 70 avant de d’imposer au début des années 80. On ne joue plus ces oeuvres ainsi désormais, mais ils restent intéressants comme témoignages de l’évolution des traditions interprétatives.

Playlist « Fouilles archéologiques »

En attendant la nomination d’un nouveau gouvernement –comme je suis devenu un presqu’oisif 😈 , cette nomination prend beaucoup moins d’importance désormais…-, j’explore, ce matin, tel un archéologue, les tréfonds de ma discothèque, avec quelques-uns de mes plus vieux CD : de véritables 40 ans d’âge, encore en très bon état de marche, et du tout-venant basique pour un mélomane presque naissant. –Cliquer sur l’image pour la voir en plus grand-.

Il va de soi que ces albums ne déparent absolument pas ma discothèque, même si je n’écoute plus guère la symphonie inachevée de Schubert que j’adorais en ce temps-là et encore moins le disque d’extraits orchestraux consacré à Wagner –la prise de son reste superlative-, mais, à l’époque, j’étais bien trop désargenté pour m’offrir une version complète du Ring en CD, beaucoup trop coûteuse : en parité de pouvoir d’achat, un unique CD de 1984 représentait 44,21€ de 2023, alors un coffret de 13 ou 14 CD…

Playlist « Je prépare ma retraite ! »

Il y a quelques temps, je vous annonçais que j’avais été couvert de cadeaux lors des nombreux « pots de départ » organisés ici et là pour marquer mon entrée dans la vie oisive. Parmi ceux-ci, deux coffrets relativement volumineux passent ce jour entre mes oreilles. –Cliquer sur l’image pour la voir en plus grand-.

Ces deux coffrets, à la jolie ligne éditoriale, sont archi-complets et abondés de quelques enregistrements historiques, dont certains, très anciens, réalisés par Ravel himself. Le livret de présentation du coffret Debussy est également très intéressant, d’autant qu’il s’agit d’un compositeur que je connais très mal.
Evidemment, je n’épuiserai pas tant de trésors en une seule journée –ni même en une seule semaine-, au risque de l’épuisement et du rejet, d’autant que ces albums contiennent l’intégralité des « chansons » de leurs auteurs respectifs, qui sont d’une digestion plutôt difficile quand on est, comme moi, assez hermétique à la mise en musique de poèmes relativement obscurs. Mieux vaut donc les déguster à petites bouchées !
Pour la playlist de ce jour, ce sont les albums consacrés aux oeuvres pour piano à quatre mains ou pour deux pianos qui sont à l’honneur, avec notamment des transcriptions de « La mer » ou du « Prélude à l’après-midi d’un faune » –ici-, deux compositions dont je ne soupçonnais même pas qu’elles existaient pour le piano !

Playlist franco-française en Amérique

Le drôle de titre de cette notice s’explique ainsi : la playlist de ce jour est constitué d’oeuvres de compositeurs français, interprétées par des chefs français qui s’exilèrent aux États-Unis , où ils eurent la charge de quelques-uns des meilleurs orchestres locaux de l’époque : Boston pour Charles Munch, Chicago pour Pierre Monteux et Detroit pour Paul Paray.
Boston et Chicago faisaient partie des « Big Five » –Boston, Chicago, Cleveland, New York et Philadelphie– , Detroit était dans la même excellente catégorie que l’orchestre de Pittsburgh de William Steinberg, qui avaient peu à envier, au moins à cette époque, à leurs prestigieux aînés. –Cliquer sur l’image pour la voir en plus grand-.

Ces orchestres, façonnés par de remarquables chefs dès le début du 20ème siècle –Toscanini, Ormandy, Stokowski, puis un peu plus tard Szell ou Reiner…– et qui n’avaient pas été décimés par la seconde guerre mondiale, étaient formidables et pouvaient facilement concurrencer les meilleurs orchestres européens.
Les trois chefs français, qui bâtirent l’essentiel de leur réputation Outre-Atlantique, ont tous eu la chance de bénéficier des ingénieurs du son de RCA, qui, de la fin des années 50 au milieu des années 60, produisit quelques-uns des tout meilleurs enregistrement des débuts de l’ère de la stéréophonie. Ces trois albums font partie de ce magnifique héritage, et sont tous excellents.

Playlist à l’américaine

Ce matin, j’enchaîne une série de concertos pour piano bien connus interprétés par le pianiste américain Harvey Lavan Cliburn, qui connut une grande célébrité sous le nom de Van Cliburn, notamment parce qu’il remporta le premier concours international Tchaïkovsky –appelé à devenir un concours prestigieux-, à Moscou, en 1958, en pleine guerre froide. Le président du jury du concours, rien moins qu’Emil Gilels, au risque de l’emprisonnement ou de la déportation, dut se présenter devant le Soviet suprême pour justifier cette victoire.
Les quatre concertos de ce jour –Beethoven ; MacDowell ; Prokofiev ; Schumann– sont tous magistralement interprétés : Van Cliburn était un pianiste énergique et rigoureux, développant de fort elles sonorités. Solide est le terme qui me semble le mieux adapté pour caractériser son jeu. Il est accompagné de fort belle manière par l’orchestre de Chicago, sous la baguette notamment d’un Fritz Reiner toujours précis mais beaucoup plus souriant que d’habitude et presque tendre -notamment dans le concerto de Beethoven-. –Cliquer sur l’image pour la voir en plus grand-.

Tout au long de la décennie qui suivit son triomphe et avant un effacement progressif à partir du milieu des années 70, Van Cliburn enregistra quelques uns des plus grands –et célèbres– concertos du répertoire classique, dans d’excellentes conditions techniques –les fameuses prises de son RCA de l’époque– et en bénéficiant du support des meilleurs orchestres américains et et de chefs aussi renommés que Reiner, Leinsdorf ou Ormandy. Ces enregistrements, tous recommandables, sont réunis dans le coffret à tout petit prix présentés dans l’imagette de droite –les coffrets de cette collection sont généralement très recommandables et bénéficient d’un remastering de qualité-. A titre anecdotique, son enregistrement du premier concerto pour piano de Tchaïkovsky, qui fait partie de ce coffret, fut le premier disque de « musique classique » vendu à plus d’un million d’exemplaires.

Playlist « Défi des dix ans » – 7

La règle de ce défi, entamé tôt dans l’année et qui se trouve désormais à mi-chemin dans son accomplissement, est simple et rappelée ici. -Cliquer sur l’image pour la voir en plus grand-.

Cette septième étape constitue un tournant dans la vie et les productions du groupe, avec l’intronisation de Ronnie Wood –if he could-, guitariste des Faces, à la place de Mick Taylor pour épauler Keith Richards, encore en pilotage automatique pour deux ans et tenant à peine debout.
Le live à Los Angeles de 1975 est l’un des tout premiers concerts où il apparaît : de nombreuses dents grincèrent devant ses solos, très en-deçà du niveau de qualité de ceux de son prédécesseur, même s’il est très compétent à la slide-guitar –bottleneck au majeur et non à l’auriculaire– et qu’il fait le show à grands coups de pitreries. Ce concert, disponible depuis l’ouverture des archives du groupe, est très supérieur à l’officiel « Love You Live », enregistré principalement à Paris en 1976, à l’horrible pochette signée Andy Warhol et au contenu plutôt cacophonique –Keith Richards avait appris le décès de son fils, encore presque bébé, le jour-même, et était chargé comme une mule-.
Quant à Black And Blue, sorti en 1976, c’est un disque étrange et attachant, sans véritable unité stylistique. Il reflète la recherche du groupe d’un guitariste pouvant succéder à Mick Taylor, et l’on entend ainsi Harvey Mandel –ex Bluesbreakers ; ex-Canned Heat– ou Wayne Perkins –excellent guitariste dont l’unique défaut était de ne pas être Anglais-, parmi une liste de successeur où les noms d’Eric Clapton, Jeff Beck ou Rory Gallagher furent cités.

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