Une semaine à l’opéra – Wagner, Der Ring des Nibelungen – Karajan

Au rythme d’un opéra par jour, ma fin de semaine s’est avérée fructueuse, puisque, depuis jeudi, j’ai pu écouter l’intégralité de « L’anneau du Nibelungen » de Richard Wagner, dans la version d’Herbert Von Karajan, enregistrée préalablement aux représentations qu’il donna, chaque année à Pâques entre 1967 et 1970, lors de « son » festival de Salzbourg. C’est le tout premier coffret d’opéra de Wagner que je m’étais offert, il y a plus de quarante ans : un volumineux pavé de 19 LP accompagnés d’un livret monolingue en Allemand, acheté en Allemagne pour moins de la moitié du prix auquel il était alors vendu en France –où cette édition allemande et vraisemblablement réservée au marché d’Outre-Rhin n’est d’ailleurs jamais sortie, cf. imagette de droite-.
Aujourd’hui, l’ensemble des quatre opéras tient sur un unique Bluray « Pure Audio » très soigneusement remastérisé en haute définition : le son est tout-à-fait remarquable. –Cliquer sur l’image pour la voir en plus grand-.

La saga du Festival de Pâques de Salzbourg, totalement dépendant de la volonté de Karajan, qui en fut l’initiateur, le financeur et le directeur artistique-chef d’orchestre-metteur en scène-éclairagiste-décorateur-concepteur des costumes et s’occupait de tout, sauf de vendre les billets, est racontée ici. Le chef y dirigea chaque année un opéra, depuis la date de sa création, fin 1966 –Karajan voulait avoir les mains totalement libres et échapper aux contingences et contraintes des maisons d’opéra après son mandat de directeur artistique à l’opéra de Vienne de 1957 à 1964– jusqu’à sa mort en 1989. Le festival ne percevant aucune subvention et le chef ne touchant aucun cachet pour ses prestations, seule la billetterie et la vente des disques servait à son financement. Dans cette perspective, et afin d’équilibrer le budget, Karajan conçut l’idée d’enregistrer les opéras présentés chaque année avant qu’ils ne soient représentés sur scène, les séances d’enregistrement servant de répétition et les enregistrements pouvant ensuite servir de supports à la mise en scène et aux éclairages.
Ainsi, à son décès, il avait notamment enregistré et présenté à Salzbourg tous les opéras de Wagner à l’exception de Tannhaüser. A l’occasion de la création du festival de Pâques, le premier opéra représenté fut la Walkyrie, suivi ensuite des trois autres opéras du cycle de « L’anneau du Nibelungen ». Les séances d’enregistrement, à la Jesus-Christus-Kirche, à l’excellente acoustique, furent réalisées selon le planning suivant.
• La walkyrie : décembre 1966
• L’or du Rhin : décembre 1967
• Siegfried : décembre 1968 –
• Le crépuscule des dieux : octobre 1969

Argument –résumé très succinct de ce cycle qui s’étend sur près de quinze heures...-.
« Das Rheingold ». « L’or du Rhin » – Le Rhin, rivière sacrée, abrite un trésor : l’or du Rhin. Trois ondines (Woglinde, Wellgunde, Flosshilde) veillent sur cet or magique. Alberich, un nain Nibelung, essaie de séduire les ondines sans succès –cliquer sur l’imagette pour la voir en plus grand-.. Il découvre que quiconque forge un anneau avec cet or acquiert un pouvoir immense. Désespéré par leur rejet, Alberich vole l’or et renonce à l’amour pour forger l’anneau.
Wotan, roi des dieux, a commandé à deux géants, Fafner et Fasolt, de construire un château, Valhalla. En échange, Wotan a promis la déesse Freia, qui garde les pommes d’immortalité. Les géants réclament Freia une fois leur tâche accomplie.
Wotan et Loge (dieu du feu) partent récupérer l’anneau d’Alberich pour racheter Freia. Dans les entrailles de la terre, Alberich règne en tyran sur les Nibelungs grâce à l’anneau. Il a aussi un casque magique, le Tarnhelm, qui permet de changer d’apparence. Wotan et Loge le capturent en jouant sur sa vanité. Alberich est forcé de céder l’anneau mais maudit celui qui le possédera.
De retour, Wotan offre l’anneau aux géants pour sauver Freia. Les géants se disputent le trésor ; Fafner tue Fasolt et s’enfuit avec l’anneau et l’or. Les dieux entrent triomphalement à Valhalla, mais l’ombre de la malédiction plane.

« Die Walküre » – Siegmund, fils de Wotan, conçu avec une mortelle, erre à travers la forêt. Il trouve refuge chez Hunding, sans savoir qu’il est l’ennemi de sa famille. Sieglinde, la femme de Hunding, reconnaît en Siegmund son frère perdu. Ils s’aiment et fuient ensemble, provoquant la colère de Hunding.
Wotan –cliquer sur l’imagette pour la voir en plus grand-, qui a engendré Siegmund pour récupérer l’anneau, souhaite l’aider. Cependant, Fricka, déesse du mariage et épouse de Wotan, exige la mort de Siegmund pour protéger l’institution du mariage. Wotan, déchiré, cède à Fricka et retire son soutien à Siegmund. Brünnhilde, la Walkyrie favorite de Wotan, reçoit l’ordre d’abandonner Siegmund au combat. Touchée par l’amour de Siegmund et Sieglinde, elle désobéit et tente de protéger Siegmund. Wotan intervient lui-même et brise l’épée de Siegmund, Nothung, causant sa mort.
Brünnhilde prend Sieglinde, désormais enceinte, et s’enfuit avec elle. En punition pour sa désobéissance, Wotan condamne Brünnhilde à dormir sur un rocher, entourée d’un cercle de feu. Seul un héros sans peur pourra la réveiller.

« Siegfried » – Sieglinde, avant de mourir, a donné naissance à Siegfried. Mime, frère d’Alberich, élève Siegfried pour qu’il tue Fafner et récupère l’anneau. Siegfried, ignorant ses origines, est fort et intrépide. Mime tente de forger une épée pour Siegfried, mais échoue à chaque fois. Siegfried, frustré, forge lui-même Notung, l’épée brisée de son père –cliquer sur l’imagette pour la voir en plus grand-.
Il part à l’aventure et tue Fafner, devenu un dragon gardant l’anneau. En goûtant accidentellement le sang du dragon, Siegfried comprend le langage des oiseaux. Un oiseau lui révèle que Mime complote contre lui. Siegfried tue Mime et prend l’anneau ainsi que le Tarnhelm.
L’oiseau le conduit ensuite vers Brünnhilde, toujours endormie sur son rocher. Wotan tente de l’arrêter, mais Siegfried brise sa lance, symbolisant la fin de son pouvoir. Siegfried traverse le feu et réveille Brünnhilde. Ils s’aiment et échangent des vœux.

« Götterdämmerung », « Le crépuscule des dieux » – , Les Nornes (déesses du destin) tissent la corde du destin, mais celle-ci se brise, annonçant la fin des dieux. Siegfried et Brünnhilde vivent heureux jusqu’à ce que Siegfried parte à l’aventure. Il rencontre Gunther, roi des Gibichungen, et sa sœur Gutrune. Hagen, demi-frère de Gunther et fils d’Alberich, complote pour récupérer l’anneau.Gutrune donne à Siegfried une potion qui lui fait oublier Brünnhilde et tomber amoureux d’elle.Sous l’influence de la potion, Siegfried aide Gunther à conquérir Brünnhilde en prenant son apparence grâce au Tarnhelm.
Brünnhilde, trahie, jure vengeance contre Siegfried. Manipulée par Hagen, elle révèle à ce dernier le seul point vulnérable de Siegfried. Lors d’une chasse, Hagen tue Siegfried avec une lance –cliquer sur l’imagette pour la voir en plus grand-.
Son corps est ramené chez les Gibichungen, et Brünnhilde découvre la vérité. Elle ordonne de dresser un bûcher funéraire pour Siegfried. Elle monte elle-même sur le bûcher avec l’anneau et se jette dans les flammes. Le Rhin monte pour reprendre l’anneau, et Hagen se noie en tentant de l’obtenir. Le Valhalla est détruit par les flammes, marquant la fin des dieux et la rédemption de l’humanité.

Le livret – Sources littéraires
« Siegfried » et « Le crépuscule des dieux » sont directement inspirés par « La Niflunga Saga », poème épique en norrois du 13ème siècle et par « La chanson du Nibelungen » qui développe peu ou prou la même intrigue, écrite en haut-allemand et datant du 12ème ou du 13ème siècle: l’action se situe dans le royaume burgonde de Worms –les Gibichungen de Wagner– vers le 5ème siècle, à l’époque d’Attila, qui  joue un rôle secondaire dans le poème.
« L’or du Rhin » et « La Walkyrie » sont adaptés de sources éparses : les Eddas relatives aux mythologies nordiques, la Völsunga saga qui retrace l’histoire de Siegmund et Sieglinde et le –roman en prose datant du 13ème siècle-, et, enfin, le « Strassburger Heldenbuch » –1480-, dit aussi « Heldenbuch-Prosa », qui offre une représentation globale de l’ensemble de l’âge héroïque royaume burgonde, en partie sous la forme d’un récit, en partie sous la forme d’un catalogue de noms –Alberich est directement tiré de ce dernier ouvrage-.
Wagner souhaitait d’abord écrire un opéra contant la légende de Siegfried, les livrets des deux derniers opéras ont donc été rédigés en premier, puis complétés et réarrangés après l’écriture des livrets de « L’or du Rhin » et de « La Walkyrie ». Leur écriture a nécessité 5 ans, puis le compositeur s’est attaché à la mise en musique dans l’ordre de présentation des opéras, à partir de 1853 et jusqu’à écriture de la note finale, en 1874, presque 20 ans plus tard…

La version de la semaine
Même s’il ne s’agit pas de ma version favorite de ce prodigieux cycle parmi la vingtaine répertoriées au sein de ma discothèque –c’est la version en live à Bayreuth de Clemens Krauss, en 1953-, c’est cependant la version studio que je préfère. Elle est d’une grande cohérence, l’orchestre y tient un rôle narratif tout-à-fait novateur et joue remarquablement bien –c’est, à mes oreilles, la meilleure proposition orchestrale pour l’ensemble du cycle-. La direction de Karajan est caractérisée par un équilibre entre puissance et délicatesse. Contrairement à d’autres approches qui mettent davantage l’accent sur l’aspect monumental et héroïque de la musique de Wagner, Karajan opte pour une interprétation plus introspective et lyrique. Cela permet aux nuances des personnages et des relations d’émerger avec une clarté émotionnelle rare.
Les tempos, d’une remarquable fluidité, sont souvent plus lents que chez d’autres chefs, mais cela permet de donner à la musique une respiration, un espace où les motifs peuvent se développer avec une richesse harmonique exceptionnelle. Les chanteurs, jeunes et à l’aube de leur carrière pour une grande partie, sont tous convaincants dans l’optique voulue par le chef –transparence et clarté de la diction, attention portée au texte, expressivité– même si certains sont d’un format moins conséquent que les habituels tenants des principaux rôles à cette époque.
Il existe des bandes « pirates » enregistrées lors de représentations de chacun de ces quatre opéras –parus notamment chez Hunt dans un coffret de 12 CD désormais introuvable-, avec une distribution quasi-identique à celle des enregistrements de studio, qui montrent, dans un son convenable –il faut faire abstraction parfois d’un souffleur intempestif…-, que la conception générale de ce cycle n’est pas une pure « création de studio ». –Cliquer sur l’image pour la voir en plus grand-.

Sous la direction de Karajan, l’ouverture du « Rheingold », avec ses célèbres accords continus, est marquée par une fluidité et une transparence qui mettent en lumière l’élément aquatique. Karajan excelle à créer une atmosphère où l’or du Rhin semble briller et scintiller à travers l’orchestre, symbolisant à la fois la beauté et la corruption que cet or apporte. Son approche est plus subtile et moins martiale que celle de Solti, créant un sentiment d’irréalité et de rêve. Les cuivres ont une présence majestueuse mais pas écrasante. La dynamique entre Wotan et Alberich est traitée avec une tension croissante, mais Karajan met en lumière l’humanité derrière leurs actes, plutôt que de se concentrer uniquement sur leur symbolisme mythologique.

Dans « Die Walküre », Karajan adopte une approche particulièrement lyrique, mettant l’accent sur les relations humaines, notamment dans l’acte I avec l’amour entre Siegmund et Sieglinde. Contrairement à certains chefs qui privilégient l’aspect héroïque de cette musique, Karajan adopte un tempo plus lent et contemplatif, faisant ressortir l’aspect intime et tragique de l’œuvre. L’acte II, avec la confrontation entre Wotan et Brünnhilde est un sommet de tension dramatique. Karajan fait ressortir la lutte intérieure de Wotan, tiraillé entre ses devoirs divins et ses émotions paternelles. L’orchestre, sous sa baguette, est subtil mais puissant, chaque nuance étant parfaitement contrôlée pour servir le drame. L’acte III, avec la célèbre « Chevauchée des Walkyries », est moins tonitruant sous Karajan que sous d’autres chefs. Plutôt que d’insister sur la puissance brute, il opte pour une approche plus raffinée, mettant en avant la précision des motifs orchestraux.

« Siegfried » est souvent considéré comme l’opéra le naturaliste et lumineux du cycle. En amoureux de la nature, Karajan le traite avec une subtilité rare. L’introduction orchestrale à l’acte I, qui décrit le travail de Mime dans sa forge, est interprétée avec une clarté et une précision admirables. Siegfried est à la fois naïf et héroïque, mais Karajan ne pousse jamais trop loin l’aspect triomphaliste du personnage. Il privilégie la complexité de Siegfried, qui évolue tout au long de l’opéra de l’insouciance à une plus grande maturité. Le duo entre Siegfried et Brünnhilde à la fin de l’acte III est magnifiquement exécuté sous Karajan, avec une montée progressive de l’émotion. Plutôt que de se précipiter vers le climax, le chef permet à la musique de respirer, de sorte que la libération finale de Brünnhilde semble à la fois inévitable et profondément émotive.

Enfin, dans « Götterdämmerung », Karajan aborde la conclusion épique du cycle avec une grande noblesse. Le prélude est marqué par une tension contenue, Karajan maîtrisant chaque aspect de la montée orchestrale qui annonce la tragédie à venir.
Le personnage de Brünnhilde est central dans cette vision. Karajan met en lumière sa transformation, passant d’une héroïne guerrière à une figure féminine tragique et rédemptrice. Le climax final, avec l’auto-immolation de Brünnhilde et la destruction de Valhalla, est dirigé avec une grandeur implacable. Les motifs musicaux, notamment celui de la rédemption par l’amour, sont magnifiquement tissés ensemble. Karajan, tout en conservant la puissance dramatique, souligne aussi l’aspect cyclique et inexorable du destin dans cette œuvre.

Evidemment, avec ce Blu-ray « Pure Audio », on échappe à toutes les scories d’un enregistrement live et les conditions techniques sont excellentes.
Le nouveau remastering est tout-à-fait exceptionnel et magnifie des prises de son très soignées dès leur origine –il fallait concurrencer la version spectaculaire de Georg Solti enregistrée chez Decca-. Il rend par ailleurs mieux justice au « Crépuscule des dieux » en rééquilibrant la balance orchestrale : les cuivres sont désormais mieux intégrés et moins projetés en avant, alors que, notamment dans le premier report en CD, ils avaient tendance à tonitruer au détriment du reste de l’orchestre.

Playlist « Baroque à l’ancienne »

La playlist de ce jour est consacrée à des oeuvres du répertoire baroque interprétées « à l’ancienne », dans une perspective non HIP –historical informed performance-, et comprend :

Scarlatti – Sonates pour piano – Ivo Pogorelich. 1992
Bach – Sonates et partitas pour violon – Johanna Martzy. 1955
Handel – Concertos op. 6 N°5, 10 et 12 – OP Berlin, Herbert Von Karajan. 1966.
Cliquer sur l’image pour la voir en plus grand-.

Les sonates de Scarlatti sont ici interprétées au piano et non au clavecin, et s’inscrivent délibérément dans une perspective de « grand piano », virtuose et intense, malgré la forme aphoristique de ces oeuvres. Evidemment, on est très loin ici des versions enregistrées au clavecin, mais les sonates retenues dans ce disque se prêtent très bien à une interprétation au piano –c’est d’ailleurs pour cet instrument que je préfère ces sonates-. Mêmes si ces enregistrements ne sont pas très anciens, Ivo Pogorelich ne se préoccupe guère des apports de la musicologie dans son interprétation.
Beaucoup plus anciens, les disques [Bach – Martzy] –qui reste cependant ma versions préférée de ces oeuvres difficiles et arides : à titre anecdotique, Johanna Martzy fut la première femme à enregistrer ce corpus intégral– et [Handel – Karajan] datent d’avant la révolution « baroqueuse » apparue au tournant des années 70 avant de d’imposer au début des années 80. On ne joue plus ces oeuvres ainsi désormais, mais ils restent intéressants comme témoignages de l’évolution des traditions interprétatives.

Dimanche matin à l’opéra – The Who, Tommy

Je vous invite à une séance dominicale et matinale à l’opéra, en vous proposant aujourd’hui une oeuvre très atypique du répertoire lyrique –dont elle ne fait pas du tout partie, il s’agit bien évidemment d’un abus de langage…-.
Tommy est un « concept album » du groupe britannique The Who, sorti en 1969 et présenté comme un opéra-rock par son créateur Pete Townshend. –Cliquer sur l’image pour la voir en plus grand-. Il raconte l’histoire fictive de Tommy Walker, un garçon sourd, muet et aveugle, qui traverse des épreuves psychologiques et spirituelles pour devenir une figure messianique.

Le récit de Tommy, né pendant la guerre en l’absence de son père, débute avec le retour de son père, le capitaine Walker, porté disparu pendant la guerre. Lorsque le capitaine revient, il découvre que la mère de Tommy a refait sa vie avec un autre homme. Le garçon assiste à une violente confrontation entre les deux hommes. Selon les versions, le père tue l’amant ou l’amant tue le père, ce n’est pas le plus important –sic– et cela n’a pas d’autre impact sur le déroulé du récit. Il faut simplement en retenir que Tommy subit un choc traumatique qui le rend sourd, muet et aveugle.
Dès lors, sa mère et son père –ou son amant, donc, selon celui qui est resté vivant…– désespérés, tentent diverses méthodes pour le guérir : l’enfant est donc confié toute une galerie de personnages plus ou moins charlatanesques qui lui font subir les pires traitements. Il va sans dire que toutes ces méthodes plus ou moins loufoques et/ou maltraitantes échouent.
Cependant, malgré son handicap, Tommy développe un don extraordinaire pour le flipper, dont il ressent les moindres vibrations, devenant une légende dans ce domaine. Au fil du temps, sa mère et son père –ou son amant, donc, selon celui qui est resté vivant…– rencontrent un médecin qui leur assure que Tommy peut être guéri s’il parvient à regarder en lui-même. Un jour, sa mère, dans un accès de frustration, brise un miroir dans lequel Tommy se voyait –sans se voir, forcément– régulièrement, ce qui entraîne sa guérison miraculeuse.
Après sa guérison, Tommy devient une figure de culte. Il attire des foules de fidèles fascinés par son histoire et son message de transcendance à travers la souffrance. Cependant, en cherchant à imposer sa vision du monde à ses disciples, Tommy finit par se mettre à dos ceux qui le suivaient et retombe dans la solitude.
Au final donc, un « livret » faible et une histoire totalement invraisemblable et complètement décousue, pleine d’incohérences également, portée par les concepts mystico-ésotériques de Meher Baba, dont Pete Townshend était alors un disciple. L’album a aussi marqué un tournant pour Pete Townshend, ex-enfant maltraité, qui a exploré des thèmes spirituels et philosophiques liés à la quête de soi et à la recherche de sens.

Musicalement, Tommy est une oeuvre beaucoup plus intéressante, qui allie des influences variées, notamment le rock, le blues, et des éléments tirés du monde lyrique. La guitare de Pete Townshend alterne les passages puissants en power chords et des moments plus subtils en arpèges, la basse virtuose de John Entwistle forme, comme toujours, le ciment des chansons et la voix de Roger Daltrey, qui doit incarner de multiples personnages, est puissante et expressive. Keith Moon, le batteur est plus sobre et discipliné qu’à son habitude, même si son incapacité à tenir un rythme régulier –c’est lui qui l’affirmait en interview– l’oblige toujours à remplir ses figures rythmiques, quitte à les briser parfois.

Tommy a également été adapté –cliquer sur les imagettes pour les voir en plus grand– :
en version « classique » avec l’orchestre symphonique de Londres, que je n’ai entendu que de rares fois et dont je n’ai pas gardé un souvenir impérissable ; il en existe un enregistrement qui ne semblent plus accessible aisément en ce moment ;
en film en 1975 par Ken Russell, avec une distribution incluant Roger Daltrey, Elton John –la meilleure prestation de ce chanteur de variété, à voir et écouter ici-Tina Turner –excellente en droguée perverse déjantée-, et Jack Nicholson, contribuant encore à sa popularité.
Le film a beaucoup vieilli, mais sa bande originale est de qualité et apporte parfois un surcroît de densité à la musique.
enfin, de nombreux bootlegs des concerts qui suivirent la parution de l’album existent, dans des conditions techniques de qualité très variable. La version la plus satisfaisante est celle proposée en bonus de la version « Deluxe » de l’excellent « Live At Leeds ».

Lors de sa sortie, Tommy reçut généralement des critiques élogieuses pour son ambition et son originalité, même si les avis furent parfois réservés, déjà, sur la trame et les incohérences de son « livret ». L’album a contribué à positionner The Who comme un groupe majeur de l’histoire de la Rock-Music et a enfin permis au groupe d’acquérir l’autonomie financière qui leur manquait jusqu’alors.
Avec Tommy, The Who a ouvert la voie à d’autres groupes pour explorer des formats narratifs dans la musique rock. L’album a marqué l’émergence de ce qu’on appelle l’opéra rock et a posé les bases pour des œuvres comme The Wall de Pink Floyd et des albums de David Bowie –Ziggy Stardust ; Aladdin Sane– ou Genesis –The lamb Lies Down On Broadway-.

Playlist « Fouilles archéologiques »

En attendant la nomination d’un nouveau gouvernement –comme je suis devenu un presqu’oisif 😈 , cette nomination prend beaucoup moins d’importance désormais…-, j’explore, ce matin, tel un archéologue, les tréfonds de ma discothèque, avec quelques-uns de mes plus vieux CD : de véritables 40 ans d’âge, encore en très bon état de marche, et du tout-venant basique pour un mélomane presque naissant. –Cliquer sur l’image pour la voir en plus grand-.

Il va de soi que ces albums ne déparent absolument pas ma discothèque, même si je n’écoute plus guère la symphonie inachevée de Schubert que j’adorais en ce temps-là et encore moins le disque d’extraits orchestraux consacré à Wagner –la prise de son reste superlative-, mais, à l’époque, j’étais bien trop désargenté pour m’offrir une version complète du Ring en CD, beaucoup trop coûteuse : en parité de pouvoir d’achat, un unique CD de 1984 représentait 44,21€ de 2023, alors un coffret de 13 ou 14 CD…

Playlist « Défi des 10 ans » – 9

On avance, on avance, pour arriver au terme de ce défi avant la fin de l’année ! Je vous rappelle le principe de ce défi ici, pour mémoire. Ce neuvième épisode n’est pas le meilleur et, pour partie, se trouve constitué de bric et de broc. –Cliquer sur l’image pour la voir en plus grand-.

C’est le cas, notamment, de Tattoo You, paru en 1981, mais compilant essentiellement des « chutes de studio » remontant jusqu’à 1973, avec Mick Taylor, quelque peu retravaillées, comme le tube Start Me Up, initialement envisagé comme un reggae bancal, et qui devient un titre rock efficace. L’album propose une face rapide et une face lente, curiosité supplémentaire dans la discographie des Rolling Stones.
La tournée des stades qui suivit, triomphale et sportive, aux États-Unis puis en Europe, donna lieu à de nombreux albums, dont un officiel paru en 1982 puis deux autres, bien meilleurs et proposant des shows complets, publiés par le groupe dans le cadre de l’ouverture de leurs archives.

Le dernier disque de cette playlist, Undercover Of The Night, est très inégal, un peu fourre-tout et sans aucune unité de style, et commence à marquer le début des querelles entre les Glimmer Twins –Mick Jagger et Keith Richards-.

Surprise passionnante !

Cette nouvelle surprise mensuelle, arrivée presqu’à l’heure, porte bien son nom, et je n’en dirai pas plus, afin d’attiser votre curiosité ! Son contenu est tout-à-fait rare et, en effet, réellement passionnant, d’une grande beauté et d’une belle puissance suggestive.
Elle est disponible ici, et, comme de coutume, la surprise du mois précédent est désormais supprimée du serveur.

ENJOY !

Dimanche à l’opéra – Debussy, Pelléas et Mélisande

Le retour de la rentrée et de ses incontournables marronniers marque également l’ouverture de la saison à l’opéra. A l’Opéra National du Rhin, traditionnellement, la première oeuvre proposée est un opéra contemporain présenté dans le cadre du festival Musica. J’y suis allé à quelques occasions, les productions sont généralement de qualité mais les oeuvres elles-mêmes sont très inégales.
Pour mon retour à l’opéra, en ce dimanche tout-à-fait estival, j’ai donc déposé sur ma platine une oeuvre que j’écoute rarement, « Pelléas et Mélisande« , de Claude Debussy, dans la version d’Herbert Von Karajan, qu’il enregistra pour EMI en 1978. –Cliquer sur l’image pour la voir en plus grand-.

• Argument.
L’opéra se passe à une date indéterminée, au royaume d’Allemonde, et l’on ne sait rien du passé des protagonistes de de leur futur, si ce n’est la mort pour les deux rôles-titres. L’oeuvre est divisée en cinq actes, d’une durée totale de trois heures environ. Pelléas est le plus jeune fils du roi d’Allemande, Golaud est son demi-frère plus âgé et Mélisande une jeune femme mystérieuse sans autre forme de détail.
Acte I : Golaud rencontre Mélisande dans une forêt. Elle devient son épouse malgré son mystère. Leur relation est marquée par l’inquiétude et l’incompréhension.
Acte II : Pelléas et Mélisande se rapprochent. Leurs rencontres innocentes cachent une passion naissante.
Acte III : Leur amour devient plus explicite. La scène du puits où Mélisande laisse tomber son anneau est un moment clé, symbolisant la perte de contrôle et l’inévitabilité du destin.
Acte IV : La tension atteint son apogée. Golaud découvre la relation entre Pelléas et Mélisande. La scène finale de cet acte voit Golaud tuer Pelléas dans un accès de jalousie.
Acte V : Mélisande, blessée et mourante, accouche d’une fille. Golaud, rongé par la culpabilité, tente de comprendre ses sentiments et la vérité sur la relation de Mélisande avec Pelléas, mais il est trop tard.

Le livret est tiré d’une pièce de Maurice Maeterlinck -dramaturge belge symboliste– publiée en 1892, qui s’inscrit dans la même ambiance mystérieuse et onirique que l’opéra de Debussy et expose ce triangle amoureux entre Golaud, Pelléas et Mélisande –amour impossible et jalousie, destin, fatalité et incommunicabilité-, à travers des dialogues minimalistes.
Créé en 1902 à l’Opéra-Comique de Paris, l’opéra de Debussy marque une rupture significative avec les conventions de l’opéra romantique, inaugurant une nouvelle ère de musique impressionniste. L’œuvre est célèbre pour son atmosphère mystérieuse, ses harmonies innovantes, et son exploration des thèmes de l’amour, de la fatalité, et de l’incommunicabilité. Debussy, fasciné par l’esthétique symboliste et désireux de s’éloigner des formes opératiques traditionnelles -et notamment Richard Wagner-, décide d’adapter la pièce en un opéra. Son approche musicale cherche à capturer l’essence de l’œuvre de Maeterlinck, avec une musique qui se mêle intimement au texte, créant une atmosphère ambiguë et suggestive.

Innovations et symbolisme
Debussy rompt avec les conventions de l’opéra traditionnel, préférant une structure fluide qui se rapproche davantage du drame musical. Contrairement aux opéras classiques, « Pelléas et Mélisande » n’a pas de séparation nette entre récitatifs et airs. Les dialogues sont chantés de manière continue, avec une prosodie naturelle qui suit les inflexions de la langue française. Cela contribue à la fluidité du drame, où la musique et le texte se fondent en une seule unité expressive. La partition est construite sur des harmonies non résolues et une orchestration subtile qui met l’accent sur les couleurs et les textures sonores plutôt que sur des mélodies linéaires et des cadences traditionnelles. L’harmonie non habituelle et les accords non résolus, qui contribuent à l’atmosphère flottante et insaisissable de l’opéra. L’orchestration de Debussy est raffinée, utilisant souvent des instruments de manière inédite pour créer des effets de timbre et de couleur. Par exemple, les cordes jouent fréquemment en sourdine, et les bois sont utilisés pour créer des sonorités éthérées.
« Pelléas et Mélisande » est un opéra où le symbolisme règne en maître. Chaque élément, qu’il s’agisse des personnages, des objets ou des lieux, est chargé de significations multiples. L’eau est omniprésente dans l’opéra, symbolisant à la fois la vie, la pureté, le mystère, et la mort. Mélisande est associée à l’eau dès le début, lorsqu’elle est découverte près d’une fontaine, et la mer joue un rôle important dans le destin des personnages.
Le contraste entre la lumière et l’obscurité est un autre motif récurrent, symbolisant la dualité de la vérité et du mensonge, de l’amour et de la haine, de la vie et de la mort. La cécité du roi Arkel est un symbole de l’incapacité à voir ou comprendre la vérité.
L’un des symboles les plus marquants est celui des longs cheveux de Mélisande, qui sont à la fois un objet de désir et un instrument de tragédie. Lors de la scène emblématique où Mélisande laisse ses cheveux pendre par la fenêtre, ceux-ci deviennent une métaphore de l’enchevêtrement des destins des personnages.

À sa création, « Pelléas et Mélisande » divise le public et la critique. L’opéra, lors de sa représentation générale,  est victime d’un « chahut » organisé par Maeterlink lui-même, qui souhaitait que sa maîtresse, Georgette Leblanc, la soeur de Maurice, interprète le rôle de Mélisande, finalement attribué à Mary Garden –cliquer sur l’image de droite pour la voir en plus grand-. Certains sont déconcertés par l’absence de grandes arias et la nature insaisissable de l’œuvre, tandis que d’autres louent l’innovation et la beauté de la musique. Avec le temps, « Pelléas et Mélisande » est devenu une œuvre emblématique du répertoire lyrique, saluée pour son avant-gardisme et sa profonde expressivité.
Il s’agit d’une œuvre d’art totale où la musique, le texte, et la mise en scène se fondent en une seule entité poétique. Opéra préféré d’Herbert Von Karajan, le chef en offre une version plus onirique que la plupart de ses congénères, pendant de son « Parsifal » presque contemporain. L’orchestre y tient une place principale, dans une prise de son légèrement réverbérée qui ajoute à l’ambiance éthérée dispensée par des cordes somptueuses. Les chanteurs sont au moins adéquats à défaut d’être tous géniaux, et chantent dans un Français acceptable et compréhensible. C’est une très belle version, qui fut largement saluée par la critique à sa parution et reste une version princeps de l’oeuvre.